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LE BOUVREUIL. 299

durable (*). On en a vu d’apprivoisés s’échapper de la volière, vivre en liberté dans les bois pendant l’espace d’une année, et au bout de ce temps reconnaître la voix de la personne qui les avait élevés, et revenir à elle (**) pour ne la plus abandonner (a). On en a vu d’autres qui, ayant été forcés de quitter leur premier maître, se sont laissés mourir de regret (b). Ces oiseaux se souviennent fort bien, et quelquefois trop bien de ce qui leur a nui : un d’eux ayant été jeté par terre, avec sa cage, par des gens de la plus vile populace, n’en parut pas fort incommodé d’abord ; mais dans la suite on s’aperçut qu’il tombait en convulsion toutes les fois qu’il voyait des gens

(a) Un de ces oiseaux qui revint à sa maîtresse, après avoir vécu un an dans les bois, avait toutes les plumes chiffonnées et tortillées. La liberté a ses inconvénients, surtout pour un animal dépravé par l’esclavage.

(b) Ædonologie, p. 128.

(*) « Un ami de mon père, dit Brehm, possédait un bouvreuil qu’il avait élevé et instruit lui-même. Sa cage était pendue très bas, on pouvait donc s’en approcher et s’entretenir avec lui. Il n’avait nullement peur des étrangers. Pour lui faire chanter sa chanson, son maître s’avançait, l’appelait par son nom et le saluait trois fois en s’inclinant ; l’oiseau l’imitait. Au troisième salut, il commençait à chanter, et sifflait son air, sans en manquer une note. Il attendait alors de son maître un signe de contentement, et était tout fier lorsqu’il en était complimenté. Il n’agissait pas différemment si c’était un étranger qui venait le saluer de la même manière ; jamais il n’obéissait à une dame. Une parente de son maître se coiffa du chapeau de celui-ci et vint saluer l’oiseau impoli ; malgré ce déguisement, il refusa de lui obéir. »

« On a, ajoute Brehm, des exemples de bouvreuils qui sont morts d’émotion trop vive. Une amie de ma famille avait un bouvreuil assez privé pour qu’on pût le laisser voler dans l’appartement. Une après-midi, cette dame, ne pouvant s’occuper de son oiseau, ne répondait pas aux caresses qu’il lui demandait. Enfin ennuyée, elle l’enferma dans la cage, et recouvrit celle-ci d’un linge, car le captif paraissait très malheureux. Le bouvreuil fit entendre quelques sons plaintifs, comme pour implorer sa liberté ou une marque de tendresse ; puis il devint silencieux, baissa la tête, hérissa ses plumes et tomba mort de son barreau.

» Le contraire arriva à un ami de mon père. Cette personne partit en voyage ; son bouvreuil resta triste et silencieux tout le temps que dura son absence ; mais sa joie ne connut plus de bornes, lorsqu’il vit son maître et son ami de retour. Il battait des ailes, lui envoyait des saluts, comme il avait appris à le faire, chantait sa chanson, voletait de tous côtés, quand tout à coup il tomba sur le sol : il était mort ; la joie l’avait tué. »

(** ) Lenz raconte le fait suivant qui est très digne d’intérêt :

« Au printemps de 1856, le pasteur Riegl, de Fischbach (dans le district de Kœnigstein, duché de Nassau), lâcha dans son jardin une femelle de bouvreuil, qu’il avait élevée en 1855. Pendant plusieurs jours, l’oiseau ne voulut pas s’éloigner ; enfin il finit par disparaître ; mais il revint en automne, entra dans la chambre, et se montra aussi apprivoisé que par le passé. Au printemps de 1857, on le lâcha de nouveau ; au mois de juin, il arriva avec quatre petits dans le jardin du pasteur, s’approcha avec confiance, chercha à attirer ses petits vers son ancien maître, et s’envola lorsqu’il vit ses efforts inutiles. En septembre, il revint encore avec trois petits de sa seconde couvée, resta avec eux quelque temps, puis repartit à leur suite ; à la fin de l’automne, il revint seul, pour passer l’hiver au presbytère.

» Au printemps de 1858, on le remit pour la troisième fois en liberté ; il ne se montra alors de nouveau que le 3 novembre, rentra dans sa cage, mais la quitta bientôt, et resta absent tout l’hiver, qui fut très doux. Le 6 avril 1859, il reparut encore dans le jardin, vola dans sa cage, mangea les graines qui y étaient, pendant que le mâle l’attendait sur un arbre ; puis il repartit avec lui. »