Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome VI.djvu/30

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de vin, se rendit si familière qu’elle courait sur la table et allait boire du vin dans les verres ; elle en but tant qu’elle devint chauve ; mais, ayant été renfermée pendant un an dans une cage, sans boire de vin, elle reprit ses plumes[1]. Cette petite anecdote nous offre deux choses à remarquer : l’effet du vin sur les plumes des oiseaux, et l’exemple d’une litorne apprivoisée, ce qui est assez rare, les grives, comme je l’ai dit plus haut, ne se privant pas aisément.

Plus le temps est froid, plus les litornes abondent : il semble même qu’elles en pressentent la cessation, car les chasseurs et les habitants de la campagne sont dans l’opinion que, tant qu’elles se font entendre, l’hiver n’est pas encore passé. Elles se retirent l’été dans les pays du Nord, où elles font leur ponte, et où elles trouvent du genièvre en abondance ; Frisch attribue à cette nourriture le bon goût qu’il reconnaît dans leur chair[2]. J’avoue qu’il ne faut point disputer des goûts, mais au moins puis-je dire qu’en Bourgogne cette grive passe pour un manger assez médiocre, et qu’en général le fumet que communique le genièvre est mêlé de quelque amertume. D’autres prétendent que la chair de la litorne n’est jamais meilleure ni plus succulente que dans les temps où elle se nourrit de vers et d’insectes.

La litorne a été connue des anciens sous le nom de turdus pilaris, non point parce que de tout temps elle s’est prise au lacet, comme le dit M. Salerne[3], car cette propriété ne l’aurait pas distinguée des autres espèces, qui toutes se prennent de même, mais parce qu’elle a autour du bec des espèces de poils ou de barbes noires qui reviennent en avant, et qui sont plus longues que dans la grive et dans la draine. Il faut ajouter qu’elle a la serre très forte, comme l’ont remarqué les auteurs de la Zoologie britannique. Frisch rapporte que, lorsqu’on met les petits de la draine dans le lit de la litorne, celle-ci les adopte, les nourrit et les élève comme siens ; mais je ne conclurais point de cela seul, comme fait M. Frisch, qu’on peut espérer de tirer des mulets du mélange de ces deux espèces ; car on ne s’attend pas, sans doute, à voir éclore une race nouvelle du mélange de la poule et du canard, quoiqu’on ait vu souvent des couvées entières de canetons menées et élevées par une poule.


  1. Fauna Suecica, p. 71.
  2. Frisch, article relatif à la planche 26.
  3. Histoire naturelle des oiseaux, p. 171.