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2o Le cenchramos fait entendre son cri pendant la nuit, ce qui a donné lieu aux deux mêmes naturalistes de dire qu’il rappelait sans cesse ses compagnes de voyage, et les pressait nuit et jour d’avancer chemin[1].

3o Enfin, dès le temps de Varron, l’on engraissait les miliaires ainsi que les cailles et les grives, et lorsqu’elles étaient grasses on les vendait fort cher aux Hortensius, aux Lucullus, etc.[2].

Or tout cela convient à notre ortolan, car il est oiseau de passage : j’en ai pour témoins la foule des naturalistes et des chasseurs ; il chante pendant la nuit, comme l’assurent Kramer, Frisch, Salerne[3] : enfin, lorsqu’il est gras, c’est un morceau très fin et très recherché[4]. À la vérité, ces oiseaux ne sont pas toujours gras lorsqu’on les prend, mais il y a une méthode assez sûre pour les engraisser. On les met dans une chambre parfaitement obscure, c’est-à-dire dans laquelle le jour extérieur ne puisse pénétrer ; on l’éclaire avec des lanternes entretenues sans interruption, afin que les ortolans ne puissent point distinguer le jour de la nuit ; on les laisse courir dans cette chambre, où l’on a soin de répandre une quantité suffisante d’avoine et de millet : avec ce régime ils engraissent extraordinairement et finiraient par mourir de gras-fondure[5] si l’on ne prévenait cet accident en les tuant à propos. Lorsque le moment a été bien choisi, ce sont de petits pelotons de graisse, et d’une graisse délicate, appétissante, exquise ; mais elle pèche par son abondance même, et l’on ne peut en manger beaucoup : la nature, toujours sage, semble avoir mis le dégoût à côté de l’excès, afin de nous sauver de notre intempérance.

Les ortolans gras se cuisent très facilement, soit au bain-marie, soit au bain de sable, de cendres, etc., et l’on peut très bien les faire cuire ainsi dans une coque d’œuf naturelle ou artificielle, comme on y faisait cuire autrefois les becfigues[6].

    etiam cenchramo. » Hist. animal., lib. viii, cap. xii. — « Abeunt unà (cùm cothurnicibus) persuasæ glottis et otis, et cenchramus. » Pline, lib. x, cap. xxiii.

  1. « A quo (cenchramo) etiam revocantur noctu. » Aristote, ibidem. « Itaque noctu is (cenchramus) eas excitat admonetque itineris. » Pline, loco citato.
  2. « Quidam adjiciunt præterea (turdis et merulis in ornithone) aves alias quoque, quæ pingues veneunt carè, ut miliariæ et cothurnices. » Varro, De Re rusticâ, lib. iii, cap. v.
  3. Je puis citer aussi le sieur Burel, jardinier à Lyon, qui a quelquefois plus de cent ortolans dans sa volière, et qui m’a appris ou confirmé plusieurs particularités de leur histoire.
  4. On prétend que ceux que l’on prend dans les plaines de Toulouse, sont de meilleur goût que ceux d’Italie : en hiver ils sont très rares, et par conséquent très chers ; on les envoie à Paris, en poste dans une mallette pleine de millet, suivant l’historien du Languedoc, t. Ier, p. 46 ; de même qu’on les envoie de Bologne et de Florence à Rome dans des boîtes pleines de farine, suivant Aldrovande.
  5. On dit qu’ils engraissent quelquefois jusqu’à peser trois onces.
  6. Ayant ouvert un œuf prétendu de paon, je fus tenté de le jeter là, croyant y avoir vu le petit paonneau tout formé ; mais en y regardant de plus près, je reconnus que c’était un becfigue très gras, nageant dans un jaune artificiel fort bien assaisonné. Voyez Pétrone, p. 108, édition de Blaeu, in-8o.