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Il ne faut qu’une seule femelle au mâle chardonneret, et pour que leur union soit féconde, il est à propos qu’ils soient tous deux libres : ce qu’il y a de singulier, c’est que ce mâle se détermine beaucoup plus difficilement à s’apparier efficacement dans une volière avec sa femelle propre qu’avec une femelle étrangère, par exemple avec une serine de Canarie[1] ou toute autre femelle, qui, étant originaire d’un climat plus chaud, aura plus de ressources pour l’exciter.

On a vu quelquefois la femelle chardonneret nicher avec le mâle canari[2], mais cela est rare ; et l’on voit au contraire, fort souvent, la femelle canari, privée de tout autre mâle[3], se joindre avec le mâle chardonneret : c’est cette femelle canari qui entre en amour la première, et qui n’oublie rien pour échauffer son mâle du feu dont elle brûle ; ce n’est qu’à force d’invitations et d’agaceries, ou plutôt c’est par l’influence de la belle saison, plus forte ici que toutes les agaceries, que ce mâle froid devient capable de s’unir à l’étrangère, et de consommer cette espèce d’adultère physique : encore faut-il qu’il n’y ait dans la volière aucune femelle de son espèce. Les préliminaires durent ordinairement six semaines, pendant lesquelles la serine a tout le temps de faire une ponte entière d’œufs clairs, dont elle n’a pu obtenir la fécondation, quoiqu’elle n’ait cessé de la solliciter ; car ce qu’on peut appeler le libertinage dans les animaux est presque toujours subordonné au grand but de la nature, qui est la reproduction des êtres. Le R. P. Bougot, qui a été déjà cité avec éloge, a suivi avec attention le petit manège d’une serine panachée, en pareille circonstance ; il l’a vue s’approcher souvent du mâle chardonneret, s’accroupir comme la poule, mais avec plus d’expression, appeler ce mâle qui d’abord ne paraît point l’écouter, qui commence ensuite à y prendre intérêt, puis s’échauffe doucement et avec toute la lenteur des gradations[4] ; il se pose un grand nombre

  1. On prétend que les chardonnerets ne se mêlent avec aucune autre espèce étrangère ; on a tenté inutilement, dit-on, de les apparier avec des linottes ; mais j’assure hardiment qu’en y employant plus d’art et de soin on réussira, non seulement à faire cette combinaison, mais encore beaucoup d’autres : j’en ai la preuve pour les linottes et les tarins ; ces derniers s’accoutument encore plus facilement à la société des canaris que les chardonnerets, et cependant on prétend que, dans le cas de concurrence, les chardonnerets sont préférés aux tarins par les femelles canaris.
  2. Le R. P. Bougot ayant lâché un mâle et une femelle chardonnerets dans une volière où il y avait un assez grand nombre de femelles et de mâles canaris, ceux-ci fécondèrent la femelle chardonneret, et son mâle resta vacant. C’est que le mâle canari, qui est fort ardent, et à qui une seule femelle ne suffit pas, avança la femelle chardonneret et la disposa, au lieu que les femelles canaris non moins ardentes, et qui d’ailleurs avaient leur mâle propre pour les féconder, ne firent aucuns frais pour l’étranger, et l’abandonnèrent à sa froideur.
  3. Cette circonstance est essentielle ; car le R. P. Bougot m’assure que des femelles de canaris qui auront un mâle de leur espèce pour quatre et même pour six, ne se donneront point au mâle chardonneret, à moins que le leur ne puisse pas suffire à toutes, et que dans ce seul cas les surnuméraires accepteront le mâle étranger, et lui feront même des avances.
  4. J’ai ouï dire à quelques oiseleurs que le chardonneret était un oiseau froid ; cela paraît vrai, surtout lorsqu’on le compare avec les serins ; mais lorsqu’une fois son temps est venu,