Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome VI.djvu/230

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On croit généralement en Angleterre que les chardonnerets de la province de Kent chantent plus agréablement[1] que ceux de toutes les autres provinces.

Ces oiseaux sont, avec les pinsons, ceux qui savent le mieux construire leur nid, en rendre le tissu le plus solide, lui donner une forme plus arrondie, je dirais volontiers plus élégante ; les matériaux qu’ils y emploient sont, pour le dehors, la mousse fine, les lichens, l’hépatique, les joncs, les petites racines, la bourre des chardons, tout cela entrelacé avec beaucoup d’art ; et, pour l’intérieur, l’herbe sèche, le crin, la laine et le duvet ; ils le posent sur les arbres, et par préférence sur les pruniers et noyers ; ils choisissent d’ordinaire les branches faibles et qui ont beaucoup de mouvement ; quelquefois ils nichent dans les taillis, d’autres fois dans des buissons épineux, et l’on prétend que les jeunes chardonnerets qui proviennent de ces dernières nichées, ont le plumage un peu plus rembruni, mais qu’ils sont plus gais et chantent mieux que les autres. Olina dit la même chose de ceux qui sont nés dans le mois d’août : si ces remarques sont fondées, il faudrait élever par préférence les jeunes chardonnerets éclos dans le mois d’août, et trouvés dans des nids établis sur des buissons épineux. La femelle commence à pondre vers le milieu du printemps ; cette première ponte est de cinq œufs[2], tachetés de brun rougeâtre vers le gros bout ; lorsqu’ils ne viennent pas à bien, elle fait une seconde ponte et même une troisième lorsque la seconde ne réussit pas ; mais le nombre des œufs va toujours en diminuant à chaque ponte. Je n’ai jamais vu plus de quatre œufs dans les nids qu’on m’a apportés au mois de juillet, ni plus de deux dans les nids du mois de septembre.

Ces oiseaux ont beaucoup d’attachement pour leurs petits ; ils les nourrissent avec des chenilles et d’autres insectes, et si on les prend tous à la fois et qu’on les renferme dans la même cage, ils continueront d’en avoir soin : il est vrai que de quatre jeunes chardonnerets que j’ai fait ainsi nourrir en cage par leurs père et mère, prisonniers, aucun n’a vécu plus d’un mois ; j’ai attribué cela à la nourriture, qui ne pouvait être aussi bien choisie qu’elle l’est dans l’état de liberté, et non à un prétendu désespoir héroïque qui porte, dit-on, les chardonnerets à faire mourir leurs petits lorsqu’ils ont perdu l’espérance de les rendre à la liberté pour laquelle ils étaient nés[3].

  1. Lettre de M. Daines Barrington. Loco citato.
  2. Belon dit que les chardonnerets font communément huit petits ; mais je n’ai jamais vu plus de cinq œufs dans une trentaine de nids de chardonnerets qui m’ont passé sous les yeux.
  3. Voyez Gerini, Ornitholog., t. 1er, p. 16, et plusieurs autres. On ajoute que si on est venu à bout de faire nourrir les petits en cage par les père et mère restés libres, ceux-ci, voyant au bout d’un certain temps qu’ils ne peuvent les tirer d’esclavage, les empoisonnent par compassion avec une certaine herbe : cette fable ne s’accorde point du tout avec le naturel doux et paisible du chardonneret, qui d’ailleurs n’est pas aussi habile dans la connaissance des plantes et de leurs vertus que cette même fable le supposerait.