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presque toutes, sont sujettes à deux mues par an, dont l’intervalle, qui répond à la saison des pluies, est de six à huit mois, pendant lesquels les mâles sont privés, non seulement de la longue queue dont je viens de parler, mais encore de leurs belles couleurs et de leur joli ramage[1] ; ce n’est qu’au retour du printemps qu’ils commencent à recouvrer les beaux sons de leur voix, à reprendre leur véritable plumage, leur longue queue, en un mot tous les attributs, toutes les marques de leur dignité de mâle.

Les femelles, qui subissent les mêmes mues, non seulement perdent moins, parce qu’elles ont moins à perdre, mais elles n’éprouvent pas même de changement notable dans les couleurs de leur plumage.

Quant à la première mue des jeunes mâles, on sent bien qu’elle ne peut avoir de temps fixe, et qu’elle est avancée ou retardée suivant l’époque de leur naissance : ceux qui sont venus des premières pontes commencent à prendre leur longue queue dès le mois de mai ; ceux au contraire qui sont venus des dernières pontes, ne la prennent qu’en septembre et même en octobre.

Les voyageurs disent que les veuves font leur nid avec du coton ; que ce nid a deux étages ; que le mâle habite l’étage supérieur, et que la femelle couve au rez-de-chaussée[2] : il serait possible de vérifier ces petits faits en Europe et même en France, où par des soins bien entendus on pourrait faire pondre et couver les veuves avec succès comme on l’a fait en Hollande.

Ce sont des oiseaux très vifs, très remuants, qui lèvent et baissent sans cesse leur longue queue ; ils aiment beaucoup à se baigner, ne sont point sujets aux maladies, et vivent jusqu’à douze ou quinze ans. On les nourrit avec un mélange d’alpiste et de millet, et on leur donne pour rafraîchissement des feuilles de chicorée.

Au reste, il assez singulier que ce nom de veuves, sous lequel ils sont généralement connus aujourd’hui, et qui paraît si bien leur convenir, soit à cause du noir qui domine dans leur plumage, soit à cause de leur queue traînante, ne leur ait été néanmoins donné que par pure méprise. Les Portugais les appelèrent d’abord oiseaux de Whidha (c’est-à-dire de Juida), parce qu’ils sont très communs sur cette côte d’Afrique : la ressemblance de ce mot avec celui qui signifie veuve en langue portugaise, aura pu tromper des étrangers[3] ; quelques-uns auront pris l’un pour l’autre, et cette

  1. Les veuves chantent en effet très agréablement, et c’est une des raisons qui déterminent M. Edwards à juger qu’elles doivent être rapportées aux pinsons plutôt qu’aux moineaux.
  2. Voyez la Description du cap de Bonne-Espérance, par Kolbe : il me paraît très probable que les chardonnerets à plumage changeant, dont il parle, sont de véritables veuves.
  3. C’est ce qui est arrivé à de fort habiles gens. M. Edwards dit, p. 86 de son Histoire naturelle des oiseaux, que les Portugais donnent à ceux-ci le nom de veuves ; mais ensuite, mieux informé, il dit à la fin de la quatrième partie de cette même histoire, que leur véritable nom, en Portugal, est celui d’oiseaux de Whidha (Whidha bird, et non pas widow bird).