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part ils ne reviennent aussi régulièrement que dans les forêts de Weissembourg, où abonde le hêtre, et, par conséquent, la faîne, dont ils sont très friands : ils en mangent le jour et la nuit ; ils vivent aussi de toutes sortes de petites graines. Je me persuade que ces oiseaux restent dans leur pays natal tant qu’ils y trouvent la nourriture qui leur convient, et que c’est la disette qui les oblige à voyager ; du moins il est certain que l’abondance des graines qu’ils aiment de préférence ne suffit pas toujours pour les attirer dans un pays, même dans un pays qu’ils connaissent ; car, en 1774, quoiqu’il y eût abondance de faîne en Lorraine, ces pinsons n’y parurent pas et prirent une autre route : l’année suivante, au contraire, on en vit quelques troupes quoique la faîne eût manqué[1]. Lorsqu’ils arrivent chez nous ils ne sont point du tout sauvages et se laissent approcher de fort près : ils volent serrés, se posent et partent de même ; cela est au point que l’on en peut tuer douze ou quinze d’un seul coup de fusil.

En pâturant dans un champ ils font à peu près la même manœuvre que les pigeons ; de temps en temps on en voit quelques-uns se porter en avant, lesquels sont bientôt suivis de toute la bande.

Ce sont, comme l’on voit, des oiseaux connus et répandus dans toutes les parties de l’Europe, du moins par leurs voyages ; mais ils ne se bornent point à l’Europe. M. Edwards en a vu qui venaient de la baie d’Hudson, sous le nom d’oiseaux de neige ; et les gens qui fréquentent cette contrée lui ont assuré qu’ils étaient des premiers à y reparaître chaque année au retour du printemps, avant même que les neiges fussent fondues[2].

La chair des pinsons d’Ardenne, quoique un peu amère, est fort bonne à manger, et certainement meilleure que celle du pinson ordinaire ; leur plumage est aussi plus varié, plus agréable, plus velouté ; mais il s’en faut beaucoup qu’ils chantent aussi bien : on a comparé leur voix à celle de la chouette[3] et à celle du chat[4] ; ils ont deux cris, l’un est une espèce de piaulement, l’autre, qu’ils font entendre étant posés à terre, approche de celui du traquet ; mais il n’est ni aussi fort ni aussi prononcé. Quoique nés avec si peu de talents naturels, ces oiseaux sont néanmoins susceptibles de talents acquis : lorsqu’on les tient à portée d’un autre oiseau dont le ramage est plus agréable, le leur s’adoucit, se perfectionne, et devient semblable à celui qu’ils ont entendu[5]. Au reste, pour avoir une idée juste de leur voix, il faudrait les avoir ouïs au temps de la ponte ; car c’est alors, c’est en chantant l’hymne de l’amour que les oiseaux font entendre leur véritable ramage.

  1. Je tiens ces faits de M. Lottinger.
  2. Nat. history of uncommon birds, part. II, p. 117.
  3. Belon, Nature des oiseaux, p. 371.
  4. Olina, p. 32.
  5. id., ibid.