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5o Enfin, le spiza d’Aristote semble chercher, suivant ce philosophe, les pays chauds pendant l’été et les pays froids pendant l’hiver[1]. Or cela convient beaucoup mieux aux pinsons d’Ardenne qu’aux pinsons ordinaires, puisqu’une grande partie de ceux-ci ne voyagent point, et que ceux-là non seulement sont voyageurs, mais qu’ils ont coutume d’arriver au fort de l’hiver[2] dans les différents pays qu’ils parcourent ; c’est ce que nous savons par expérience, et ce qui d’ailleurs est attesté par les noms de pinson d’hiver, pinson de neige, que l’on a donnés en divers pays au pinson d’Ardenne.

De tout cela il résulte, ce me semble, que très probablement ce dernier est le spiza d’Aristote, et notre pinson ordinaire son orospiza.

Les pinsons d’Ardenne ne nichent point dans nos pays ; ils y passent d’années à autres en très grandes troupes : le temps de leur passage est l’automne et l’hiver ; souvent ils s’en retournent au bout de huit ou dix jours ; quelquefois ils restent jusqu’au printemps : pendant leur séjour ils vont avec les pinsons ordinaires, et se retirent comme eux dans les feuillages. Il en parut des volées très nombreuses en Bourgogne dans l’hiver de 1774, et des volées encore plus nombreuses dans le pays de Wurtemberg, sur la fin de décembre 1775 ; ceux-ci allaient se gîter tous les soirs dans un vallon sur les bords du Rhin[3], et dès l’aube du jour ils prenaient leur vol : la terre était toute couverte de leur fiente. La même chose avait été observée dans les années 1735 et 1757[4] ; on ne vit peut-être jamais un aussi grand nombre de ces oiseaux en Lorraine que dans l’hiver de 1765, chaque nuit on en tuait plus de six cents douzaines, dit M. Lottinger, dans des forêts de sapins qui sont à quatre ou cinq lieues de Sarrebourg ; on ne prenait pas la peine de les tirer, on les assommait à coups de gaules, et quoique ce massacre eût duré tout l’hiver, on ne s’apercevait presque pas à la fin que la troupe eût été entamée. M. Willughby nous apprend qu’on en voit beaucoup aux environs de Venise[5], sans doute au temps du passage ; mais nulle

    ces époques s’accordent très bien avec celles où nous les voyons passer et repasser en Bourgogne ; il peut se faire que les deux espèces aiment les montagnes et se ressemblent en ce point.

  1. Historia animalium, lib. ix, cap. vii.
  2. Aldrovante assure positivement que cela est ainsi aux environs de Bologne : M. Lottinger me mande que dès la fin d’août il en paraît quelques-uns en Lorraine ; mais que l’on n’en voit de grosses troupes que sur la fin d’octobre, et même plus tard.
  3. M. Lottinger dit, peut-être un peu trop généralement, que le jour ils se répandent dans les forêts de la plaine, et que la nuit ils se retirent sur la montagne : cette marche n’est point apparemment invariable, et l’on peut croire qu’elle dépend du local et des circonstances.

    On en a vu cette année, dans nos environs, une volée de plus de trois cents qui a passé trois ou quatre jours dans le même endroit, et cet endroit est montagneux. Ils se sont toujours posés sur le même noyer, et lorsqu’on les tirait ils partaient tous à la fois, et dirigeaient constamment leur route vers le nord ou le nord-est. (Note de M. le marquis de Piolenc.)

  4. Voyez la Gazette d’agriculture, année 1776, no 9, p. 66.
  5. Page 187.