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M. Linnæus fait de ces sourcils blancs un des caractères de l’espèce ; presque tous les autres naturalistes s’accordent à dire que les jeunes mâles ne se font guère reconnaître qu’en s’essayant de bonne heure à chanter, car cette espèce de grive chante très bien, surtout dans le printemps[1] dont elle annonce le retour, et l’année a plus d’un printemps pour elle, puisqu’elle fait plusieurs pontes ; aussi dit-on qu’elle chante les trois quarts de l’année : elle a coutume pour chanter de se mettre tout au haut des grands arbres, et elle s’y tient des heures entières ; son ramage est composé de plusieurs couplets différents, comme celui de la draine, mais il est encore plus varié et plus agréable, ce qui lui a fait donner en plusieurs pays la dénomination de grive chanteuse ; au reste, ce chant n’est pas sans intention, et l’on ne peut en douter, puisqu’il ne faut que savoir le contrefaire, même imparfaitement, pour attirer ces oiseaux.

Chaque couvée va séparément sous la conduite des père et mère ; quelquefois plusieurs couvées se rencontrant dans les bois, on pourrait penser, à les voir ainsi rassemblées, qu’elles vont par troupes nombreuses ; mais leurs réunions sont fortuites, momentanées ; bientôt on les voit se diviser en autant de petits pelotons qu’il y avait de familles réunies[2], et même se disperser absolument lorsque les petits sont assez forts pour aller seuls[3].

Ces oiseaux se trouvent ou plutôt voyagent en Italie, en France, en Lorraine, en Allemagne, en Angleterre, en Écosse, en Suède, où ils se tiennent dans les bois qui abondent en érables[4] ; ils passent de Suède en Pologne quinze jours avant la Saint-Michel et quinze jours après, lorsqu’il fait chaud et que le ciel est serein[NdÉ 1].

Quoique la grive ait l’œil perçant, et qu’elle sache fort bien se sauver de ses ennemis déclarés et se garantir des dangers manifestes, elle est peu rusée au fond, et n’est point en garde contre les dangers moins apparents : elle se prend facilement, soit à la pipée, soit au lacet, mais moins cependant que le mauvis. Il y a des cantons en Pologne où on en prend une si grande quantité qu’on en exporte de petits bateaux chargés[5]. C’est un oiseau des bois, et c’est dans les bois qu’on peut lui tendre des pièges avec succès : on le trouve très rarement dans les plaines ; et, lors même que ces grives se

  1. Dans les premiers jours de son arrivée, sur la fin de l’hiver, elle ne fait entendre qu’un petit sifflement, la nuit comme le jour, de même que les ortolans, ce que les chasseurs provençaux appellent pister.
  2. Frisch, article relatif à la planche 27. M. le docteur Lottinger dit aussi que, quoiqu’elles ne voyagent pas en troupes, on en trouve plusieurs ensemble ou peu éloignées les unes des autres.
  3. On m’assure cependant qu’elles aiment la compagnie des calandres.
  4. Linnæus, Fauna Suecica, p. 72.
  5. Rzaczynski, Auctuanum, p. 425.
  1. La Grive commune se trouve dans une grande partie de l’Asie et dans le nord de l’Afrique.