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agréable qui, dit-on, annonce la pluie[1] : on a aussi remarqué que ces oiseaux ne chantaient jamais mieux ni plus longtemps que lorsque par quelque accident ils avaient perdu la vue[2] ; et cette remarque n’a pas été plus tôt faite que l’art de les rendre aveugles a été inventé : ce sont de petits esclaves à qui nous crevons les yeux pour qu’ils puissent mieux servir à nos plaisirs ; mais je me trompe, on ne leur crève point les yeux, on réunit seulement la paupière inférieure à la supérieure par une espèce de cicatrice artificielle, en touchant légèrement et à plusieurs reprises les bords de ces deux paupières avec un fil de métal rougi au feu, et prenant garde de blesser le globe de l’œil. Il faut les préparer à cette singulière opération, d’abord en les accoutumant à la cage pendant douze ou quinze jours, et ensuite en les tenant enfermés nuit et jour avec leur cage dans un coffre, afin de les accoutumer à prendre leur nourriture dans l’obscurité[3]. Ces pinsons aveugles sont des chanteurs infatigables[4], et l’on s’en sert par préférence[5] comme d’appeaux ou d’appelants pour attirer dans les pièges les pinsons sauvages ; on prend ceux-ci aux gluaux[6], et avec différentes sortes de filets, entre autres celui d’alouettes ; mais il faut que les mailles soient plus petites et proportionnées à la grosseur de l’oiseau.

Le temps de cette chasse[7] est celui où les pinsons volent en troupes nombreuses, soit en automne à leur départ, soit au printemps à leur retour : il faut, autant que l’on peut, choisir un temps calme, parce qu’alors ils volent plus bas et qu’ils entendent mieux l’appeau. Ils ne se façonnent point aisément à la captivité ; les premiers jours ils ne mangent point ou presque

  1. Ce cri a un nom particulier en allemand, on l’appelle schircken.
  2. Ils sont sujets à cet accident surtout lorsqu’on les tient entre deux fenêtres, a l’exposition du midi.
  3. Gessner prétend qu’en tenant des pinsons ainsi renfermés, pendant tout l’été, et ne les tirant de prison qu’au commencement de l’automne, ils chantent pendant cette dernière saison, ce qu’ils n’eussent point fait sans cela : l’obscurité les rendait muets, le retour de la lumière est le printemps pour eux. De Avibus, p. 388.
  4. On les appelle, en Flandre, rabadiaux.
  5. Avec d’autant plus de raison que ceux qui ne sont point aveugles sont des chantres fort capricieux, et qui se taisent pour peu qu’il fasse de vent ou qu’ils éprouvent d’incommodité, et même d’inquiétude.
  6. Le pinson est un oiseau de pipée ; il vient en faisant un cri, auquel les autres pinsons ne manquent pas de répondre, et aussitôt ils se mettent tous en marche. (Note de M. le docteur Lottinger.)
  7. On établit le filet dans un bosquet de charmille d’environ soixante pieds de long sur trente-cinq de large, à portée des vignes et des chènevières ; le filet est à un bout, la loge où se met l’homme qui tient la corde du filet à l’autre bout ; deux appeaux dans l’espace qui est entre les deux nappes ; plusieurs autres pinsons en cage répandus dans le bosquet : cela s’appelle une pinsonnière. Il faut beaucoup d’attention à cacher l’appareil ; car le pinson, qui trouve aisément à vivre, n’est point facile à attirer dans le piège : quelques-uns disent qu’il est défiant et rusé, qu’il échappe à l’oiseau de proie en se tenant la tête en bas, que l’oiseau le méconnaît dans cette situation, et que s’il fond sur lui, souvent il ne lui prend que quelques plumes de la queue. M. Guys m’assure que la femelle est encore plus rusée que le mâle : ce qu’il y a de sûr, c’est que mâle et femelle se laissent approcher de fort près.