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moments fort rares ; le reste du temps ils se cachent dans des haies fourrées, sur des chênes qui n’ont pas encore perdu leurs feuilles, sur des arbres toujours verts, quelquefois même dans des trous de rochers où ils meurent lorsque la saison est trop rude ; ceux qui passent en d’autres climats se réunissent assez souvent en troupes innombrables ; mais où vont-ils ? M. Frisch croit que c’est dans les climats septentrionaux, et il se fonde : 1o sur ce qu’à leur retour ils ramènent avec eux des pinsons blancs qui ne se trouvent guère que dans ces climats ; 2o sur ce qu’ils ne ramènent point de petits, comme ils feraient s’ils eussent passé le temps de leur absence dans un pays chaud où ils eussent pu nicher, et où ils n’auraient pas manqué de le faire : tous ceux qui reviennent, mâles et femelles, sont adultes ; 3o sur ce qu’ils ne craignent point le froid, mais seulement la neige, qui en couvrant les campagnes les prive d’une partie de leurs subsistances[1].

Il faut donc, pour concilier tout cela, qu’il y ait un pays au nord où la neige ne couvre point la terre : or on prétend que les déserts de la Tartarie sont ce pays ; il y tombe certainement de la neige, mais les vents l’emportent, dit-on, à mesure qu’elle tombe, et laissent de grands espaces découverts.

Une singularité très remarquable dans la migration des pinsons, c’est ce que dit Gessner de ceux de la Suisse, et M. Linnæus de ceux de la Suède, que ce sont les femelles qui voyagent et que les mâles restent l’hiver dans le pays[2] ; mais ces habiles naturalistes n’auraient-ils pas été trompés par ceux qui leur ont attesté ce fait, et ceux-ci par quelque altération périodique dans le plumage des femelles, occasionnée par le froid ou par quelque autre cause. Le changement de couleur me paraît plus dans l’ordre de la nature, plus conforme à l’analogie[3], que cette séparation à jour nommé des mâles et des femelles, et que la fantaisie de celles-ci de voyager seules et de quitter leur pays natal où elles pourraient trouver à vivre tout aussi bien que leurs mâles.

Au reste, on sent bien que l’ordre de ces migrations doit varier dans les

  1. Frisch, t. Ier, classe 1, sect. 1. Aldrovande dit qu’en Italie, lorsqu’il y a beaucoup de neige et que le froid est rigoureux, les pinsons ne peuvent voler, et qu’on les prend à la main, p. 820 ; mais cette impuissance de voler peut venir d’inanition, et l’inanition de la quantité des neiges. Olina prétend qu’en ce même pays, les pinsons gagnent la montagne pendant l’été. M. Hébert en a vu dans cette saison sur les plus hautes montagnes du Bugey, où ils étaient aussi communs que dans les plaines, et où certainement ils ne restent point l’hiver.
  2. « In Helvetiâ nostrâ per hiemem recedunt, fœminæ præsertim, mares enim aliquando complures simul apparent sine ulla fœminâ. » Gessner, de Avibus, p. 388. M. Linnæus dit positivement que les pinsons femelles quittent la Suède par troupes au mois de septembre, qu’elles vont en Hollande, et reviennent au printemps rejoindre leurs mâles qui ont passé l’hiver en Suède.
  3. Nous rendrons compte, à l’article du tarier ou traquet d’Angleterre, de quelques observations curieuses sur les changements successifs du plumage de cet oiseau et de quelques autres.