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uns même ajoutent des détails qu’il serait à souhaiter qui fussent vérifiés ; que ces variations de plumage roulent exclusivement entre cinq couleurs principales, le noir, le bleu, le vert, le jaune et le rouge ; que les bengalis n’en prennent jamais plus d’une à la fois, etc.[1]. Cependant les personnes qui ont été à portée d’observer ces oiseaux en France, et de les suivre pendant plusieurs années, assurent qu’ils n’ont qu’une seule mue par an, et qu’ils ne changent point de couleur[2]. Cette contradiction apparente peut s’expliquer par la différence des climats. Celui de l’Asie et de l’Afrique, où les bengalis et les sénégalis se trouvent naturellement, a beaucoup plus d’énergie que le nôtre, et il est possible qu’il ait une influence plus marquée sur leur plumage. D’ailleurs les bengalis ne sont pas les seuls oiseaux qui éprouvent cette influence ; car selon Mérolla, les moineaux d’Afrique deviennent rouges dans la saison des pluies, après quoi ils reprennent leur couleur ; et plusieurs autres oiseaux sont sujets à de pareils changements[3]. Quoi qu’il en soit, il est clair que ces variations de couleurs qu’éprouvent les bengalis, au moins dans leur pays natal, rendent équivoque toute méthode qui tirerait de ces mêmes couleurs les caractères distinctifs des espèces, puisque ces prétendus caractères ne seraient que momentanés, et dépendraient principalement de la saison de l’année où l’individu aurait été tué. Mais, d’un autre côté, ces caractères si variables en Asie et en Afrique, devenant constants dans nos climats plus septentrionaux, il est difficile, dans l’énumération des différentes espèces, d’éviter toute méprise et de ne pas tomber dans l’un de ces deux inconvénients, ou d’admettre comme espèces distinctes de simples variétés, ou de donner pour variétés des espèces vraiment différentes. Dans cette incertitude, je ne puis mieux faire que de me prêter aux apparences, et de me soumettre aux idées reçues ; je formerai donc autant d’articles séparés qu’il se trouvera d’individus notablement différents, soit par le plumage, soit à d’autres égards, mais sans prétendre déterminer le nombre des véritables espèces. Ce ne peut être que l’ouvrage du temps : le temps amènera les faits, et les faits dissiperont les doutes.

On se tromperait fort si, d’après les noms de sénégalis et de bengalis, on se persuadait que ces oiseaux ne se trouvent qu’au Bengale et au Sénégal : ils sont répandus dans la plus grande partie de l’Asie et de l’Afrique, et même dans plusieurs des îles adjacentes, telles que celles de Madagascar, de Bourbon, de France, de Java, etc. On peut même s’attendre à en voir bientôt arriver d’Amérique, M. de Sonnini en ayant laissé échapper dernièrement un assez grand nombre dans l’île de Cayenne, et les ayant revus depuis fort

  1. Histoire générale des voyages, t. IV, p. 354.
  2. M. Mauduit, connu par son goût éclairé pour l’histoire naturelle, et par son beau cabinet d’oiseaux, a observé un sénégali rouge qui a vécu plus d’un an sans changer de plumage. Le sieur Château assure la même chose de tous les bengalis qui lui ont passé par les mains.
  3. Voyages de Mérolla, p. 636.