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avait que trois. Ils sont d’un blanc sale, tachetés de rouge brun au gros bout. Les linottes ne font ordinairement que deux pontes, à moins qu’on ne leur enlève leurs œufs, ou qu’on ne les oblige de les renoncer ; dans ce cas, elles font jusqu’à quatre pontes : la mère, pour nourrir ses petits, leur dégorge dans le bec les aliments qu’elle leur a préparés en les avalant et les digérant à demi dans son jabot.

Lorsque les couvées sont finies et la famille élevée, les linottes vont par troupes nombreuses ; ces troupes commencent à se former dès la fin d’août, temps auquel le chènevis parvient à sa maturité : on en a pris, à cette époque, jusqu’à soixante d’un seul coup de filet[1], et parmi ces soixante il y avait quarante mâles. Elles continuent de vivre ainsi en société pendant tout l’hiver ; elles volent très serrées, s’abattent et se lèvent toutes ensemble, se posent sur les mêmes arbres, et vers le commencement du printemps on les entend chanter toutes à la fois : leur asile pour la nuit, ce sont des chênes, des charmes, dont les feuilles, quoique sèches, ne sont point encore tombées. On les a vues sur des tilleuls, des peupliers, dont elles piquaient les boutons ; elles vivent encore de toutes sortes de petites graines, notamment de celle de chardons, etc. : aussi les trouve-t-on indifféremment dans les terres en friche et dans les champs cultivés. Elles marchent en sautillant ; mais leur vol est suivi et ne va point par élans répétés comme celui du moineau.

Le chant de la linotte s’annonce par une espèce de prélude. En Italie, on préfère les linottes de l’Abruzze ultérieure et de la Marche d’Ancône pour leur apprendre à chanter[2]. On croit communément en France que le ramage de la linotte rouge est meilleur que celui de la linotte grise ; cela est dans l’ordre ; car l’oiseau qui a formé son chant au sein de la liberté, et d’après les impressions intérieures du sentiment, doit avoir des accents plus touchants, plus expressifs que l’oiseau qui chante sans objet et seulement pour se désennuyer, ou par la nécessité d’exercer ses organes.

Les femelles ne chantent ni n’apprennent à chanter : les mâles adultes, pris au filet ou autrement, ne profiteraient point non plus des leçons qu’on pourrait leur donner ; les jeunes mâles pris au nid sont les seuls qui soient susceptibles d’éducation. On les nourrit avec du gruau d’avoine et de la navette broyée dans du lait ou de l’eau sucrée : on les siffle le soir à la lueur d’une chandelle, ayant attention de bien articuler les mots qu’on veut leur faire dire. Quelquefois, pour les mettre en train, on les prend sur le doigt, on leur présente un miroir, où ils se voient et où ils croient voir un autre oiseau de leur espèce ; bientôt ils croient l’entendre, et cette illusion

  1. On peut y employer le filet d’alouette, mais moins grand, et à mailles plus serrées ; il faut avoir un ou deux linots mâles pour servir d’appeaux ou de chanterelles. On prend souvent avec les linottes des pinsons, et d’autres petits oiseaux.
  2. Olina, p. 8.