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toujours en même quantité : quelquefois fois elles sont en très petit nombre, soit que le temps ait été contraire à leur multiplication, ou qu’il soit contraire à leur passage[1] ; d’autres fois elles arrivent en grand nombre, et un observateur très instruit[2] m’a dit avoir vu des nuées prodigieuses de grives de toute espèce, mais principalement de mauvis et de litornes, tomber au mois de mars dans la Brie et couvrir, pour ainsi dire, un espace d’environ sept ou huit lieues ; cette passée, qui n’avait point d’exemple, dura près d’un mois, et on remarqua que le froid avait été fort long cet hiver.

Les anciens disaient que les grives venaient tous les ans en Italie de delà les mers, vers l’équinoxe d’automne, qu’elles s’en retournaient vers l’équinoxe du printemps (ce qui n’est pas généralement vrai de toutes les espèces, du moins pour notre Bourgogne), et que, soit en allant, soit en venant, elles se rassemblaient et se reposaient dans les îles de Pontia, Palmaria et Pandataria, voisines des côtes d’Italie[3]. Elles se reposent aussi dans l’île de Malte, où elles arrivent en octobre et novembre ; le vent du nord-ouest y en amène quelques volées, celui de sud ou de sud-ouest les fait quelquefois disparaître ; mais elles n’y vont pas toujours avec des vents déterminés, et leur apparition dépend souvent plus de la température de l’air que de son mouvement ; car, si dans un temps serein le ciel se charge tout à coup avec apparence d’orage, la terre se trouve alors couverte de grives[4].

Au reste, il paraît que l’île de Malte n’est point le terme de la migration des grives du côté du midi, vu la proximité des côtes d’Afrique, et qu’il s’en trouve dans l’intérieur de ce continent, d’où elles passent, dit-on, tous les ans en Espagne[5].

  1. On m’assure qu’il y a des années où les mauvis sont très rares en Provence ; et la même chose est vraie des contrées plus septentrionales.
  2. M. Hébert, receveur général de l’extraordinaire des guerres, qui a fait de nombreuses et très bonnes observations sur la partie la plus obscure de l’ornithologie, je veux dire les mœurs et les habitudes naturelles des oiseaux.
  3. Varro, De Re rusticâ, lib. iii, cap. v. Ces îles sont situées au midi de la ville de Home, tirant un peu à l’est. On croit que l’île de Pandataria est celle qui est connue aujourd’hui sous le nom de Ventotene.
  4. Voyez Lettres de M. le commandeur Godeheu de Riville, t. Ier, p. 91 et 92, des Mémoires présentés à l’Académie royale des Sciences par les savants étrangers.
  5. « Étant en Espagne, en 1707, dit le traducteur d’Edwards, dans le royaume de Valence, sur les côtes de la mer, à deux pas de Castillon-de-la-Plana, je vis en octobre de grandes troupes d’oiseaux qui venaient d’Afrique en ligne directe. On en tua quelques-uns qui se trouvèrent être des grives, mais si sèches et si maigres qu’elles n’avaient ni substance ni goût : les habitants de la campagne m’assurèrent que tous les ans, en pareille saison, elles venaient par troupes chez eux, mais que la plupart allaient encore plus loin. » Voyez Edwards, Préface du tome Ier, p. xxvij. En admettant le fait, je me crois fondé à douter que ces grives, qui arrivaient en Espagne au mois d’octobre, vinssent en effet d’Afrique, parce que la marche ordinaire de ces oiseaux est toute contraire, et que d’ailleurs la direction de leur route, au moment de leur arrivée, ne prouve rien, cette direction pouvant varier dans un trajet un peu long, par mille causes différentes.