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couleur rouge dont la nature a décoré sa tête et sa poitrine, et qui, dans l’état de liberté, brille d’un éclat durable, s’efface par degrés et s’éteint bientôt dans nos cages et nos volières. Il en reste à peine quelques vestiges obscurs après la première mue[1].

À l’égard de son chant, nous le dénaturons, nous substituons aux modulations libres et variées que lui inspirent le printemps et l’amour les phrases contraintes d’un chant apprêté qu’il ne répète qu’imparfaitement, et où l’on ne retrouve ni les agréments de l’art ni le charme de la nature. On est parvenu aussi à lui apprendre à parler différentes langues, c’est-à-dire à siffler quelques mots italiens[2], français, anglais, etc., quelquefois même à les prononcer assez franchement[3]. Plusieurs curieux ont fait exprès le voyage de Londres à Kensington pour avoir la satisfaction d’entendre la linotte d’un apothicaire qui articulait ces mots pretty boy ; c’était tout son ramage, et même tout son cri, parce qu’ayant été enlevée du nid deux ou trois jours après qu’elle était éclose, elle n’avait pas eu le temps d’écouter, de retenir le chant de ses père et mère, et que dans le moment où elle commençait à donner de l’attention aux sons, les sons articulés de pretty boy furent apparemment les seuls qui frappèrent son oreille, les seuls qu’elle apprit à imiter : ce fait, joint à plusieurs autres[4], prouve assez bien, ce me semble, l’opinion de M. Daines Barrington, que les oiseaux n’ont point de chant inné, et que le ramage propre aux diverses espèces d’oiseaux et ses variétés ont eu à peu près la même origine que les langues des différents peuples, et leurs dialectes divers[5]. M. Barrington avertit que, dans

  1. Le rouge de la tête se change en un roux brun varié de noirâtre, et celui de la poitrine se change à peu près de même ; mais la teinte des nouvelles couleurs est moins rembrunie. Un amateur m’a assuré qu’il avait élevé de ces linottes qui avaient gardé leur rouge ; c’est un fait unique jusqu’à présent.
  2. Lodato Dio. Benedetto Dio. Prie Dieu, prie Dieu, etc.
  3. Voyez l’Aedologie, page 93.
  4. Un chardonneret qui avait été enlevé du nid deux ou trois jours après être éclos, ayant été mis près d’une fenêtre donnant sur un jardin où fréquentaient des roitelets, chantait exactement la chanson du roitelet, et pas une seule note de celle du chardonneret.

    Un moineau enlevé du nid lorsque ses ailes commençaient à être formées, ayant été mis avec un linot, et ayant eu dans le même temps occasion d’entendre un chardonneret, il se fit un chant qui était un mélange de celui de la linotte et du chardonneret.

    Une gorge-rouge ayant été mise sous la leçon d’un rossignol excellent chanteur, mais qui cessa de chanter en moins de quinze jours, eut les trois quarts du chant du rossignol, et le reste de son ramage ne ressemblait à rien.

    Enfin M. Barrington ajoute que les serins du Tyrol, à en juger par leur ramage, descendent d’un père commun, qui avait appris à chanter d’un rossignol, comme le premier père des serins d’Angleterre paraît avoir appris à chanter d’une farlouse. Trans. philos., vol. LXIII, 10 janvier 1773. Si on élève un jeune linot avec un pinson ou un rossignol, dit Gessner, il apprendra à chanter comme eux, et surtout cette partie du chant du pinson, connue sous le nom de boute-selle : Reiterzu. P. 591.

  5. La mort du père, dans le moment critique de l’instruction, aura occasionné quelque variété dans le chant des jeunes, qui, privés des leçons paternelles, auront fait attention au chant d’un autre oiseau, et l’auront imité, ou qui, le modifiant selon la conformation plus ou