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de cæcum ; mais toutes ont une vésicule du fiel, le bout de la langue divisé en deux ou plusieurs filets, dix-huit pennes à chaque aile et douze à la queue.

Ce sont des oiseaux tristes, mélancoliques, et, comme c’est l’ordinaire, d’autant plus amoureux de leur liberté ; on ne les voit guère se jouer ni même se battre ensemble, encore moins se plier à la domesticité ; mais, s’ils ont un grand amour pour leur liberté, il s’en faut bien qu’ils aient autant de ressources pour la conserver ni pour se conserver eux-mêmes : l’inégalité d’un vol oblique et tortueux est presque le seul moyen qu’ils aient pour échapper au plomb du chasseur[1] et à la serre de l’oiseau carnassier : s’ils peuvent gagner un arbre touffu, ils s’y tiennent immobiles de peur, et on ne les fait partir que difficilement[2]. On en prend par milliers dans les pièges ; mais la grive proprement dite et le mauvis sont les deux espèces qui se prennent le plus aisément au lacet, et presque les seules qui se prennent à la pipée.

Les lacets ne sont autre chose que deux ou trois crins de cheval tortillés ensemble et qui font un nœud coulant ; on les place autour des genièvres, sous les alisiers, dans le voisinage d’une fontaine ou d’une mare, et quand l’endroit est bien choisi et les lacets bien tendus, dans un espace de cent arpents, on prend plusieurs centaines de grives par jour.

Il résulte des observations faites en différents pays que, lorsque les grives paraissent en Europe, vers le commencement de l’automne, elles viennent des climats septentrionaux avec ces volées innombrables d’oiseaux de toute espèce qu’on voit aux approches de l’hiver traverser la mer Baltique, et passer de la Laponie, de la Sibérie, de la Livonie, en Pologne, en Prusse, et de là dans les pays plus méridionaux. L’abondance des grives est telle alors sur la côte méridionale de la Baltique, que, selon le calcul de M. Klein, la seule ville de Dantzig en consomme chaque année quatre-vingt-dix mille paires[3] ; il n’est pas moins certain que lorsque celles qui ont échappé aux dangers de la route repassent après l’hiver, c’est pour retourner dans le nord. Au reste, elles n’arrivent pas toutes à la fois : en Bourgogne, c’est la grive qui paraît la première, vers la fin de septembre ; ensuite le mauvis, puis la litorne avec la draine ; mais cette dernière espèce est beaucoup moins nombreuse[4] que les trois autres, et elle doit le paraître moins en effet, ne fût-ce que parce qu’elle est plus dispersée.

Il ne faut pas croire non plus que toutes les espèces de grives passent

  1. D’habiles chasseurs m’ont assuré que les grives étaient fort difficiles à tirer, et plus difficiles que les bécassines.
  2. C’est peut-être ce qui a fait dire qu’ils étaient sourds, et qui a fait passer leur surdité en proverbe, κωφότερος κίχλης ; mais c’est une vieille erreur : tous les chasseurs savent que la grive a l’ouïe fort bonne.
  3. Ordo Avium, p. 178.
  4. Klein, loco citato.