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et de leur substituer des œufs d’ivoire, afin que tous les œufs puissent éclore en même temps ; on attend le dernier œuf avant de rendre les autres à la femelle et de lui ôter ceux d’ivoire. D’ordinaire le moment de la ponte est à six ou sept heures du matin ; on prétend que, quand elle retarde seulement d’une heure, c’est que la femelle est malade : la ponte se fait ainsi successivement[1] ; il est donc aisé de se saisir des œufs à mesure qu’ils sont produits. Néanmoins cette pratique, qui est plutôt relative à la commodité de l’homme qu’à celle de l’oiseau, est contraire au procédé de la nature ; elle fait subir à la mère une plus grande déperdition de chaleur et la surcharge tout à la fois de cinq ou six petits qui, venant tous ensemble, l’inquiètent plus qu’ils ne la réjouissent, tandis qu’en les voyant éclore successivement les uns après les autres, ses plaisirs se multiplient et soutiennent ses forces et son courage : aussi des oiseleurs très intelligents m’ont assuré qu’en n’ôtant pas les œufs à la femelle et les laissant éclore successivement, ils avaient toujours mieux réussi que par cette substitution des œufs d’ivoire.

Au reste, nous devons dire qu’en général les pratiques trop recherchées et les soins scrupuleux que nos écrivains conseillent de donner à l’éducation de ces oiseaux sont plus nuisibles qu’utiles ; il faut, autant qu’il est possible, se rapprocher en tout de la nature. Dans leur pays natal, les serins se tiennent sur les bords des petits ruisseaux ou des ravines humides[2] ; il ne faut donc jamais les laisser manquer d’eau tant pour boire que pour se baigner. Comme ils sont originaires d’un climat très doux, il faut les mettre à l’abri de la rigueur de l’hiver ; il paraît même qu’étant déjà assez anciennement naturalisés en France, ils se sont habitués au froid de notre pays, car on peut les conserver en les logeant dans une chambre sans feu, dont il n’est pas même nécessaire que la fenêtre soit vitrée : une grille maillée pour les empêcher de fuir suffira ; je connais plusieurs oiseleurs qui m’ont assuré qu’en les traitant ainsi on en perd moins que quand on les tient dans des chambres échauffées par le feu. Il en est de même de la nourriture, on pourrait la rendre plus simple, et peut-être ils ne s’en porteraient que mieux[3]. Une attention qui paraît plus nécessaire qu’aucune autre, c’est de

  1. La ponte se fait toujours à la même heure, si la femelle est dans le même état de santé ; cependant il faut faire une exception pour le dernier œuf, qui est ordinairement retardé de quelques heures et quelquefois d’un jour. Ce dernier œuf est constamment plus petit que les autres, et l’on m’a assuré que le petit qui provient de ce dernier œuf est toujours un mâle : il serait bon de constater ce fait singulier.
  2. Les serins de Canarie qu’on apporte en Angleterre sont nés dans les barrancos ou les ravins que l’eau forme en descendant des montagnes. Histoire générale des voyages, t. II, page 241.
  3. J’ai souvent éprouvé par moi-même et par d’autres qui se piquaient de suivre à la lettre et dans toute leur étendue les pratiques prescrites par les auteurs, que souvent le trop de soins et d’attentions fait périr ces oiseaux : une nourriture réglée de navette et de millet ; de l’eau d’un jour à l’autre en hiver, et d’une ou deux fois par jour en été ; du seneçon,