Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome VI.djvu/148

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À ces remarques particulières, qui toutes sont intéressantes, je dois ajouter une observation générale plus importante et qui peut encore donner quelques lumières sur la génération des animaux et sur le développement de leurs différentes parties. L’on a constamment observé en mêlant les canaris, soit entre eux, soit avec des oiseaux étrangers, que les métis provenus de ces mélanges ressemblent à leur père par la tête, la queue, les jambes, et à leur mère par le reste du corps ; on peut faire la même observation sur les mulets quadrupèdes : ceux qui viennent de l’âne et de la jument ont le corps aussi gros que leur mère, et tiennent du père les oreilles, la queue, la sécheresse des jambes ; il paraît donc que dans le mélange des deux liqueurs séminales, quelque intime qu’on doive le supposer pour l’accomplissement de la génération, les molécules organiques fournies par la femelle occupent le centre de cette sphère vivante qui s’accroît dans toutes les dimensions, et que les molécules données par le mâle environnent celles de la femelle, de manière que l’enveloppe et les extrémités du corps appartiennent plus au père qu’à la mère. La peau, le poil et les couleurs, qu’on doit aussi regarder comme faisant partie extérieure du corps, tiennent plus du côté paternel que du côté maternel. Plusieurs métis que j’ai obtenus, en donnant un bouc à des brebis, avaient tous, au lieu de laine, le poil rude de leur père. Dans l’espèce humaine on peut de même remarquer que communément le fils ressemble plus à son père qu’à sa mère par les jambes, les pieds, les mains, la quantité et la couleur des cheveux, la qualité de la peau, la grosseur de la tête ; et dans les mulâtres qui proviennent d’un blanc et d’une négresse, la teinte de noir est plus diminué que dans ceux qui viennent d’un nègre et d’une blanche : tout cela semble prouver que dans l’établissement local des molécules organiques fournies par les deux sexes, celles du mâle surmontent et enveloppent celles de la femelle, lesquelles forment le premier point d’appui et, pour ainsi dire, le noyau de l’être qui s’organise ; et que, malgré la pénétration et le mélange intime de ces molécules, il en reste plus de masculines à la surface et plus de féminines à l’intérieur, ce qui paraît naturel, puisque ce sont les premières qui vont chercher les secondes : d’où il résulte que, dans le développement du corps, les membres doivent tenir plus du père que de la mère, et le corps doit tenir plus de la mère que du père.

Et comme, en général, la beauté des espèces ne se perfectionne et ne peut même se maintenir qu’en croisant les races, et qu’en même temps la noblesse de la figure, la force et la vigueur du corps dépendent presque en entier de la bonne proportion des membres, ce n’est que par les mâles qu’on peut ennoblir ou relever les races dans l’homme et dans les animaux : de grandes et belles juments avec de vilains petits chevaux ne produiront jamais que des poulains mal faits ; tandis qu’un beau cheval avec une jument, quoique laide, produira de très beaux chevaux, et d’autant plus beaux, que les races du père et de la mère seront plus éloignées, plus étrangères l’une à