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Chaque volière contenait plusieurs milliers de grives et de merles, sans compter d’autres oiseaux bons à manger, comme ortolans, cailles, etc., et il y avait une si grande quantité de ces volières aux environs de Rome, surtout au pays des Sabins, que la fiente de grives était employée comme engrais pour fertiliser les terres, et, ce qui est à remarquer, on s’en servait encore pour engraisser les bœufs et les cochons[1].

Les grives avaient moins de liberté dans ces volières que nos pigeons fuyards n’en ont dans nos colombiers, car on ne les en laissait jamais sortir : aussi n’y pondaient-elles point ; mais comme elles y trouvaient une nourriture abondante et choisie, elles y engraissaient, au grand avantage du propriétaire[2]. Les individus semblaient prendre leur servitude en gré ; mais l’espèce restait libre. Ces sortes de grivières étaient des pavillons voûtés, garnis en dedans d’une quantité de juchoirs, vu que la grive est du nombre des oiseaux qui se perchent ; la porte en était très basse ; ils avaient peu de fenêtres et tournées de manière qu’elles ne laissaient voir aux grives prisonnières ni la campagne, ni les bois, ni les oiseaux sauvages voltigeant en liberté, ni rien de tout ce qui aurait pu renouveler leurs regrets et les empêcher d’engraisser. Il ne faut pas que des esclaves voient trop clair : on ne leur laissait de jour que pour distinguer les choses destinées à satisfaire leurs principaux besoins. On les nourrissait de millet et d’une espèce de pâtée faite avec des figues broyées et de la farine, et outre cela de baies de lentisque, de myrte, de lierre, en un mot de tout ce qui pouvait rendre leur chair succulente et de bon goût. On les abreuvait avec un filet d’eau courante qui traversait la volière. Vingt jours avant de les prendre pour les manger, on augmentait leur ordinaire et on le rendait meilleur ; on poussait l’attention jusqu’à faire passer doucement dans un petit réduit qui communiquait à la volière les grives grasses et bonnes à prendre, et on ne les prenait en effet qu’après avoir bien refermé la communication, afin d’éviter tout ce qui aurait pu inquiéter et faire maigrir celles qui restaient ; on tâchait même de leur faire illusion en tapissant la volière de ramée et de verdure souvent renouvelées, afin qu’elles pussent se croire encore au milieu des bois ; en un mot, c’étaient des esclaves bien traités parce que le propriétaire entendait ses intérêts. Celles qui étaient nouvellement prises se gardaient quelque temps dans de petites volières séparées avec plusieurs de celles qui avaient déjà l’habitude de la prison[3], et moyennant tous ces soins on venait à bout

  1. « Ego arbitror præstare (stercus) ex aviariis turdorum ac merularum, quod non solùm ad agrum utile, sed etiam ad cibum, ita bubus et suibus ut fiant pingues. » Varro, De Re rusticâ, lib. i, cap. xxxviii.
  2. Chaque grive grasse se vendait, hors des temps du passage, jusqu’à trois deniers romains, qui reviennent à environ trente sous de notre monnaie, et, lorsqu’il y avait un triomphe ou quelque festin public, ce genre de commerce rendait jusqu’à douze cents pour cent. Voyez Columelle, De Re rusticâ, lib. viii, cap. x. — Varron, lib. iii, cap. v.
  3. Voyez Columelle et Varron, locis citatis.