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de son chant naturel pour se prêter à l’harmonie de nos voix et de nos instruments ; il applaudit, il accompagne, et nous rend au delà de ce qu’on peut lui donner. Le rossignol, plus fier de son talent, semble vouloir le conserver dans toute sa pureté : au moins paraît-il faire assez peu de cas des nôtres ; ce n’est qu’avec peine qu’on lui apprend à répéter quelques-unes de nos chansons. Le serin peut parler et siffler, le rossignol méprise la parole autant que le sifflet, et revient sans cesse à son brillant ramage. Son gosier, toujours nouveau, est un chef-d’œuvre de la nature, auquel l’art humain ne peut rien changer, rien ajouter ; celui du serin est un modèle de grâces d’une trempe moins ferme que nous pouvons modifier. L’un a donc bien plus de part que l’autre aux agréments de la société ; le serin chante en tout temps, il nous récrée dans les jours les plus sombres, il contribue même à notre bonheur, car il fait l’amusement de toutes les jeunes personnes, les délices des recluses ; il charme au moins les ennuis du cloître, porte de la gaieté dans les âmes innocentes et captives ; et ses petites amours, qu’on peut considérer de près en le faisant nicher, ont rappelé mille et mille fois à la tendresse des cœurs sacrifiés ; c’est faire autant de bien que nos vautours savent faire de mal.

C’est dans le climat heureux des Hespérides que cet oiseau charmant semble avoir pris naissance ou du moins avoir acquis toutes ses perfections ; car nous connaissons en Italie[1] une espèce de serin plus petite que celle des Canaries, et en Provence une autre espèce presque aussi grande[2], toutes deux plus agrestes, et qu’on peut regarder comme les tiges sauvages d’une race civilisée : ces trois oiseaux peuvent se mêler ensemble dans l’état de captivité, mais dans l’état de nature ils paraissent se propager sans mélange chacun dans leur climat ; ils forment donc trois variétés constantes qu’il serait bon de désigner chacune par un nom différent afin de ne les pas confondre. Le plus grand s’appelait cinit ou cini dès le temps de Belon (il y a plus de deux cents ans) ; en Provence on le nomme encore aujourd’hui cini ou cigni, et l’on appelle venturon celui d’Italie. Le canari, le venturon et le cini sont les noms propres que nous adopterons pour désigner ces trois variétés, et le serin sera le nom de l’espèce générique.

  1. Citrinella. Gessner, Avium, p. 260 ; avec une assez bonne figure. — Vercellino. Olina, p. 15 ; avec une bonne figure. — « Passer supernè ex viridi-flavicante varius ; infernè luteovirescens ; remigibus rectricibusque nigricantibus, oris exterioribus viridescentibus… » Serinus Italicus, le serin d’Italie. Brisson, Ornithol., t. III, p. 182. — Voyez nos planches enluminées, no 658, fig. 2.
  2. Serinus. Gessner, Avium, p. 260 ; avec une mauvaise figure. — Serin, Belon, Hist. nat. des oiseaux, p. 354 ; avec une figure peu exacte. — Serin. Senicle, cerisin, cinit, cedrin. Belon, Portraits d’oiseaux, p. 90, recto ; avec la même figure peu exacte. — « Passer supernè ex fusco viridi-flavicante varius, inferne luteo virescens, lateribus maculis fuscis longitudinalibus variis, tæniâ in alis viridi-flavicante ; remigibus, rectricibusque supernè fuscis, oris exterioribus griseo-viridibus, apicis margine albicante… » Serinus, le serin. Brisson, Ornithol., t. III, p. 79. — Voyez nos planches enluminées, no 658, fig. 1.