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ils vivent plusieurs années, surtout s’ils y sont sans femelles, car on prétend que l’usage immodéré qu’ils en font abrège beaucoup leur vie[1]. Lorsqu’ils sont pris jeunes, ils ont assez de docilité pour obéir à la voix, s’instruire et retenir quelque chose du chant des oiseaux auprès desquels on les met ; naturellement familiers, ils le deviennent encore davantage dans la captivité : cependant ce naturel familier ne les porte pas à vivre ensemble dans l’état de liberté ; ils sont assez solitaires, et c’est peut-être là l’origine de leur nom[2]. Comme ils ne quittent jamais notre climat et qu’ils sont toujours autour de nos maisons, il est aisé de les observer et de reconnaître qu’ils vont ordinairement seuls ou par couple ; il y a cependant deux temps dans l’année où ils se rassemblent, non pas pour voler en troupe, mais pour se réunir et piailler tous ensemble, l’automne sur les saules le long des rivières, et le printemps sur les épicéas et autres arbres verts ; c’est le soir qu’ils s’assemblent, et dans la bonne saison ils passent la nuit sur les arbres, mais en hiver ils sont souvent seuls ou avec leurs femelles dans un trou de muraille ou sous les tuiles de nos toits, et ce n’est que quand le froid est très violent qu’on en trouve quelquefois cinq ou six dans le même gîte, où probablement ils ne se mettent ensemble que pour se tenir chaud.

Les mâles se battent à outrance pour avoir des femelles, et le combat est si violent qu’ils tombent souvent à terre. Il y a peu d’oiseaux si ardents, si puissants en amour. On en a vu se joindre jusqu’à vingt fois de suite, toujours avec le même empressement, les mêmes trépidations, les mêmes expressions de plaisir ; et ce qu’il y a de singulier, c’est que la femelle paraît s’impatienter la première d’un jeu qui doit moins la fatiguer que le mâle, mais qui peut lui plaire aussi beaucoup moins, parce qu’il n’y a nul préliminaire, nulles caresses, nul assortissement à la chose ; beaucoup de pétulance sans tendresse, toujours des mouvements précipités qui n’indiquent que le besoin pour soi-même. Comparez les amours du pigeon à celles du moineau, vous y verrez presque toutes les nuances du physique au moral.

Ces oiseaux nichent ordinairement sous les tuiles, dans les chéneaux, dans les trous de muraille ou dans les pots qu’on leur offre, et souvent aussi dans les puits et sur les tablettes des fenêtres dont les vitrages sont défendus par des persiennes à claire-voie : néanmoins il y en a quelques-uns qui font leur nid sur les arbres ; l’on m’a apporté de ces nids de moineaux pris sur de grands noyers et sur des saules très élevés ; ils les placent au

  1. « Sunt qui passerum mares anno dintius durare non posse arbitrantur, argumento quod veris initio, nulli mentum habere nigrum spectantur, sed postea, tanquam nullus anni superioris servetur ; fœminas vero hoc in genere esse vivaciores volunt, capi enim has cum novellis, cognoscique labrorum callo asseverant. » Arist., Hist. animal., lib. x, cap. vi.
  2. Monos, moine, moineau.