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en mangent eux-mêmes en assez grande quantité, leur principale nourriture est notre meilleur grain ; ils suivent le laboureur dans le temps des semailles, les moissonneurs pendant celui de la récolte, les batteurs dans les granges, la fermière lorsqu’elle jette le grain à ses volailles ; ils le cherchent dans les colombiers et jusque dans le jabot des jeunes pigeons qu’ils percent pour l’en tirer ; ils mangent aussi les mouches à miel, et détruisent ainsi de préférence les seul insectes qui nous soient utiles ; enfin, ils sont si malfaisants, si incommodes, qu’il serait à désirer qu’on trouvât quelque moyen de les détruire[NdÉ 1]. On m’avait assuré qu’en faisant fumer du soufre sous les arbres où ils se rassemblent en certaines saisons et s’endorment le soir, cette fumée les suffoquerait et les ferait tomber ; j’en ai fait l’épreuve sans succès, et cependant je l’avais faite avec précaution et même avec intérêt, parce que l’on ne pouvait leur faire quitter le voisinage de mes volières, et que je m’étais aperçu que non seulement ils troublaient le chant de mes oiseaux par leur vilaine voix, mais que même, à force de répéter leur désagréable tui tui, ils altéraient le chant des serins, des tarins, des linottes, etc. Je fis donc mettre sur un mur, couvert par de grands marronniers d’Inde, dans lesquels les moineaux s’assemblaient le soir en très grand nombre, je fis mettre, dis-je, plusieurs terrines remplies de soufre mêlé d’un peu de charbon et de résine ; ces matières, en s’enflamment, produisirent une épaisse fumée qui ne fit d’autre effet que d’éveiller les moineaux ; à mesure que la fumée les gagnait, ils s’élevaient au haut des arbres, et enfin ils en désemparèrent pour gagner les toits voisins, mais aucun ne tomba ; je remarquai seulement qu’il se passa trois jours sans qu’ils se rassemblassent en nombre sur ces arbres enfumés, mais ensuite ils reprirent leur première habitude.

Comme ces oiseaux sont robustes, on les élève facilement dans des cages ;

  1. S’il est vrai que les Moineaux produisent des dégâts assez grands en mangeant les fruits des vergers et les graines des céréales, il n’est cependant pas exact qu’il soit sans utilité, et Brehm va jusqu’à les considérer comme plus utiles que nuisibles. « Nous pouvons, écrit-il, fournir plus d’une preuve à l’appui de notre dire. Irrité contre ces oiseaux, Frédéric le Grand ordonna de les détruire et offrit une prime de 6 pfennigs (centimes) par tête ; aussi tout le monde se livra à cette chasse, et, en quelques années, l’État eut à payer, plusieurs milliers de francs de primes. Mais le résultat ne se fit pas longtemps attendre. Les arbres fruitiers que l’on disait pillés par les oiseaux furent envahis par les chenilles et les insectes, et n’eurent ni fruits ni feuilles. Le docteur Brewer a écrit à la Société zoologique que les moineaux récemment introduits à New-York et dans les villes voisines y ont exercé une action très sensible sur les insectes nuisibles ; pendant l’été de 1867, on les a vus faire une chasse active à ces insectes, ce qui a eu pour résultat la conservation du feuillage d’un grand nombre d’arbres. Ces services sont appréciés ; aussi a-t-on construit pour ces utiles auxiliaires des nids de paille, et on leur donne régulièrement de la nourriture dans les parcs de New-York et des autres villes. C’est aux nombreuses tribus de pierrots qu’ils abritent que les arbres de Paris doivent de n’être jamais dépouillés de leur feuillage par les chenilles. De même, en Australie, l’on a introduit les moineaux pour leur faire détruire les insectes qui ravagent les vergers. Voilà des faits qui, plus que toute théorie, établissent la valeur des moineaux. Il faut, en pesant leur utilité et le mal qu’ils peuvent faire, remarquer qu’ils sont utiles toute l’année, et ne deviennent nuisibles qu’à certaines époques. »