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plaisent ni dans les bois ni dans les vastes campagnes : on a même remarqué qu’il y en a plus dans les villes que dans les villages, et qu’on n’en voit point dans les hameaux et dans les fermes qui sont au milieu des forêts ; ils suivent la société pour vivre à ses dépens : comme ils sont paresseux et gourmands, c’est sur des provisions toutes faites, c’est-à-dire sur le bien d’autrui qu’ils prennent leur subsistance ; nos granges et nos greniers, nos basses-cours, nos colombiers, tous les lieux, en un mot, où nous rassemblons ou distribuons des grains sont les lieux qu’ils fréquentent de préférence ; et comme ils sont aussi voraces que nombreux, ils ne laissent pas de faire plus de tort que leur espèce ne vaut, car leur plume ne sert à rien, leur chair n’est pas bonne à manger, leur voix blesse l’oreille, leur familiarité est incommode, leur pétulance grossière est à charge ; ce sont de ces gens que l’on trouve partout et dont on n’a que faire, si propres à donner de l’humeur que dans certains endroits on les a frappés de proscription en mettant à prix leur vie[1].

Et ce qui les rendra éternellement incommodes, c’est non seulement leur très nombreuse multiplication[NdÉ 1], mais encore leur défiance, leur finesse, leurs ruses et leur opiniâtreté à ne pas désemparer les lieux qui leur conviennent ; ils sont fins, peu craintifs, difficiles à tromper ; ils reconnaissent aisément les pièges qu’on leur tend, ils impatientent ceux qui veulent se donner la peine de les prendre ; il faut pour cela tendre un filet d’avance et attendre plusieurs heures, souvent en vain ; et il n’y a guère que dans les saisons de disette et dans les temps de neige où cette chasse puisse avoir du succès, ce qui néanmoins ne peut faire une diminution sensible sur une espèce qui se multiplie trois fois par an : leur nid est composé de foin au dehors et de plumes en dedans ; si vous le détruisez, en vingt-quatre heures ils en font un autre ; si vous jetez leurs œufs, qui sont communément au nombre de cinq ou six, et souvent davantage[2], huit ou dix jours après ils en pondent de nouveaux ; si vous les tirez sur les arbres ou sur les toits, ils ne s’en recèlent que mieux dans vos greniers ; il faut à peu près vingt livres de blé par an pour nourrir une couple de moineaux ; des personnes qui en avaient gardé dans des cages m’en ont assuré ; que l’on juge par leur nombre de la déprédation que ces oiseaux font de nos grains, car, quoiqu’ils nourrissent leurs petits d’insectes dans le premier âge, et qu’ils

  1. En Allemagne, dans beaucoup de villages, on oblige les paysans à apporter chaque année un certain nombre de têtes de moineau. Frisch, t. Ier, art. 7.
  2. Olina dit qu’ils font jusqu’à huit œufs, et jamais moins de quatre.
  1. D’après Conrad Gessner, les Moineaux mâles sont tellement lascifs qu’ils s’usent aux jeux de l’amour et vivent beaucoup moins longtemps que les femelles. Brehm ne croit pas que l’usage que font ces animaux des plaisirs sexuels produisent d’aussi funestes résultats. « On a dit, ajoute-t-il, que contrairement aux autres Passereaux, le Moineau ne respecte pas grandement les liens conjugaux ; cela ne me paraît point fondé. »