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qu’une fois en vingt ou trente ans. La seule cause qu’on puisse s’imaginer, c’est quelque intempérie dans le climat qu’habitent ces oiseaux, qui, dans de certaines années, aurait détruit ou fait avorter les fruits et les graines dont ils se nourrissent ; ou bien quelque orage, quelque ouragan subit, qui les aura tous chassés du même côté, car ils arrivent en si grand nombre et en même temps si fatigués, si battus, qu’ils n’ont plus de souci de leur conservation, et qu’on les prend, pour ainsi dire, à la main sans qu’ils fuient.

Il est à présumer que l’espèce du bec-croisé, qui habite les climats froids de préférence, se trouve dans le nord du nouveau continent, comme dans celui de l’ancien ; cependant aucun voyageur en Amérique n’en fait mention ; mais ce qui me porte à croire qu’on doit l’y trouver, c’est qu’indépendamment de la présomption générale toujours avérée, confirmée par le fait, que tous les animaux qui ne craignent pas le froid ont passé d’un continent à l’autre et sont communs à tous deux, le bec-croisé se trouve en Groenland, d’où il a été apporté à M. Edwards par des pêcheurs de baleines[1], et ce naturaliste, plus versé que personne dans la connaissance des oiseaux, remarque avec raison que les oiseaux, tant aquatiques que terrestres, qui fréquentent les hautes latitudes du Nord, se répandent indifféremment dans les parties moins septentrionales de l’Amérique et de l’Europe[2].

Le bec-croisé est l’un des oiseaux dont les couleurs sont les plus sujettes à varier : à peine trouve-t-on, dans un grand nombre, deux individus semblables, car non seulement les couleurs varient par les teintes, mais encore par leur position, et dans le même individu, pour ainsi dire, dans toutes les saisons et dans tous les âges. M. Edwards, qui a vu un très grand nombre de ces oiseaux, et qui a cherché les extrêmes de ces variations, peint le mâle d’un rouge couleur de rose, et la femelle d’un vert jaunâtre ; mais, dans l’un et dans l’autre, le bec, les yeux, les jambes et les pieds sont absolument de la même forme et des mêmes couleurs. Gessner dit avoir nourri un de ces oiseaux, qui était noirâtre au mois de septembre, et qui prit du rouge dès le mois d’octobre[3] ; il ajoute que les parties où le rouge commence à paraître sont le dessous du cou, la poitrine et le ventre, qu’ensuite le rouge devient jaune, que c’est surtout pendant l’hiver que les couleurs changent, et qu’on prétend qu’en différents temps elles tirent sur le rouge, sur le jaune, sur le vert et sur le gris cendré. Il ne faut donc pas faire une espèce ou une variété particulière, comme l’ont fait nos nomenclateurs modernes[4], d’un bec-croisé verdâtre trouvé dans les Pyré-

  1. Edwards, Glanures, p. 197.
  2. Idem, ibidem.
  3. Gessner, Avi., p. 591.
  4. « Loxia pyrenaïca, et sub rufo nigricans ; cervice et capite coccineis. » Barrère, Ornithol., cl. 3, gen. 18, sp. 2. — Loxia rufescens. Le bec-croisé roussâtre. Brisson, Ornithol., p. 332.