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Ces oiseaux sont d’un caractère tout à fait social : ils vont ordinairement par grandes troupes et quelquefois ils forment des volées innombrables ; mais outre ce goût général qu’ils ont pour la société, ils paraissent capables entre eux d’un attachement de choix et d’un sentiment particulier de bienveillance, indépendant même de l’attrait réciproque des sexes ; car non seulement le mâle et la femelle se caressent mutuellement et se donnent tour à tour à manger, mais on a observé les mêmes marques de bonne intelligence et d’amitié de mâle à mâle, comme de femelle à femelle. Cette disposition à aimer, qui est une qualité si agréable pour les autres, est souvent sujette à de grands inconvénients pour celui qui en est doué ; elle suppose toujours en lui plus de douceur que d’activité, plus de confiance que de discernement, plus de simplicité que de prudence, plus de sensibilité que d’énergie, et le précipite dans les pièges que des êtres moins aimants et plus dominés par l’intérêt personnel multiplient sous ses pas : aussi ces oiseaux passent-ils pour être des plus stupides, et ils sont de ceux que l’on prend en plus grand nombre. On les prend ordinairement avec les grives qui passent en même temps, et leur chair est à peu près de même goût[1], ce qui est assez naturel vu qu’ils vivent à peu près des mêmes choses ; j’ajoute qu’on en tue beaucoup à la fois parce qu’ils se posent fort près les uns des autres[2].

Ils ont coutume de faire entendre leur cri lorsqu’ils partent ; ce cri est zi, zi, ri : selon Frisch et tous ceux qui les ont vus vivants, c’est plutôt un gazouillement qu’un chant[3], et le nom de jaseur qui leur a été donné indique assez que, dans les lieux où on les a nommés ainsi, on ne leur connaissait ni le talent de chanter, ni celui de parler qu’ont les merles ; car jaser n’est ni chanter, ni parler. M. de Réaumur va même jusqu’à leur disputer le titre de jaseurs[4] ; néanmoins le prince Aversperg dit que leur chant est très agréable. Cela se peut concilier : il est très possible que le jaseur ait un chant agréable dans le temps de l’amour, qu’il se fasse entendre dans les pays où il perpétue son espèce, que partout ailleurs il ne fasse que gazouiller et que jaser, lors même qu’il est en liberté ; enfin que dans des cages étroites il ne dise rien du tout.

Son plumage est agréable dans l’état de repos ; mais pour en avoir une idée complète, il faut le voir lorsque l’oiseau déploie ses ailes, épanouit sa queue et relève sa huppe, en un mot lorsqu’il étale toutes ses beautés, c’est-

  1. Gessner nous dit que c’est un gibier délicat qu’on sert sur les meilleures tables, et dont le foie surtout est fort estimé. Le prince d’Aversperg assure que la chair du jaseur est d’un goût préférable à celle de la grive et du merle ; et d’autre côté, Schwenckfeld avance que c’est un manger médiocre et peu sain ; et tout cela dépend beaucoup de la qualité des choses dont l’oiseau s’est nourri.
  2. Frisch, pl. 32.
  3. Idem, ibidem.
  4. Oiseaux de Salerne, p. 253.