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tous les trois ou quatre ans, ou même que tous les six ou sept ans, et quelquefois en si grand nombre que le soleil en est obscurci[1] : serait-ce une excessive multiplication qui produirait ces émigrations prodigieuses, ces sortes de débordements, comme il arrive dans l’espèce des sauterelles, dans celle de ces rats du Nord, appelés lemings, et comme il est arrivé même à l’espèce humaine dans les temps où elle était moins civilisée, par conséquent plus forte, plus indépendante de l’équilibre qui s’établit à la longue entre toutes les puissances de la nature[2] ? ou bien les jaseurs seraient-ils chassés de temps en temps de leurs demeures par des disettes locales qui les forcent d’aller chercher ailleurs une nourriture qu’ils ne trouvent point chez eux ? On prétend que, lorsqu’ils s’en retournent, ils vont fort loin dans les pays septentrionaux, et cela est confirmé par le témoignage de M. le comte de Strahlemberg, qui, comme nous l’avons dit plus haut, en a vu dans la Tartarie[3].

La nourriture qui plaît le plus à cet oiseau lorsqu’il se trouve dans un pays de vignes, ce sont les raisins, d’où Aldrovande a pris occasion de lui donner le nom d’ampelis, qu’on peut rendre en français par celui de vinette. Après les raisins, il préfère, dit-on, les baies de troëne, ensuite celles de rosier sauvage, de genièvre, de laurier, les pignons, les amandes, les pommes, les sorbes, les groseilles sauvages, les figues, et en général tous les fruits fondants et qui abondent en suc : celui qu’Aldrovande a nourri pendant près de trois mois ne mangeait des baies de lierre et de la chair crue qu’à toute extrémité, et il n’a jamais touché aux grains ; il buvait souvent et à huit ou dix reprises à chaque fois[4]. On donnait à celui qu’on a tâché d’élever dans la ménagerie de Vienne de la mie de pain blanc, des carottes hachées, du chènevis concassé et des grains de genièvre, pour lequel il montrait un appétit de préférence[5] ; mais, malgré tous les soins qu’on a pris pour le conserver, il n’a vécu que cinq ou six jours : ce n’est pas que le jaseur soit difficile à apprivoiser et qu’il ne se façonne en peu de temps à l’esclavage ; mais un oiseau accoutumé à la liberté, et par conséquent à pourvoir lui-même à tous ses besoins, trouvera toujours mieux ce qui lui convient en pleine campagne que dans la volière la mieux administrée. M. de Réaumur a observé que les jaseurs aiment la propreté et que ceux qu’on tient dans les volières font constamment leurs ordures dans le même endroit[6].

  1. « Anno 1552, inter Moguntiam et Bingam juxta Rhenum, maximis examinibus apparuerunt in tantâ copiâ ut subito qui transvolabant, ex umbrâ earum veluti nox appareret. » Gessner, p. 703.
  2. Voyez l’Hist. nat. générale et particulière, t. IX, p. 37.
  3. Frisch, pl. 32.
  4. Aldrovande, p. 800.
  5. Mémoire du prince d’Aversperg.
  6. Voyez Hist. nat. des oiseaux, de Salerne, p. 253.