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peler promptement en lui jetant son past ; mais s’il vole en tournoyant au-dessus de son maître sans se trop éloigner, c’est signe d’attachement et qu’il ne fuira point. On a encore remarqué que l’aigle dressé à la chasse se jette souvent sur les autours et autres moindres oiseaux de proie, ce qui ne lui arrive pas lorsqu’il ne suit que son instinct ; car alors il ne les attaque pas comme proie, mais seulement pour leur en disputer ou enlever une autre.

Dans l’état de nature, l’aigle ne chasse seul que dans le temps où la femelle ne peut quitter ses œufs ou ses petits ; comme c’est la saison où le gibier commence à devenir abondant par le retour des oiseaux, il pourvoit aisément à sa propre subsistance et à celle de sa femelle ; mais, dans tous les autres temps de l’année, le mâle et la femelle paraissent s’entendre pour la chasse ; on les voit presque toujours ensemble ou du moins à peu de distance l’un de l’autre. Les habitants des montagnes, qui sont à portée de les observer, prétendent que l’un des deux bat les buissons, tandis que l’autre se tient sur quelque arbre ou sur quelque rocher pour saisir le gibier au passage ; ils s’élèvent souvent à une hauteur si grande qu’on les perd de vue, et, malgré ce grand éloignement, leur voix se fait encore entendre très distinctement, et leur cri ressemble alors à l’aboiement d’un petit chien. Malgré sa grande voracité, l’aigle peut se passer longtemps de nourriture, surtout dans l’état de captivité lorsqu’il ne fait point d’exercice. J’ai été informé, par un homme digne de foi, qu’un de ces oiseaux de l’espèce commune, pris dans un piège à renard, avait passé cinq semaines entières sans aucun aliment, et n’avait paru affaibli que dans les huit derniers jours, au bout desquels on le tua pour ne pas le laisser languir plus longtemps.

Quoique les aigles, en général, aiment les lieux déserts et les montagnes, il est rare d’en trouver dans celles des presqu’îles étroites, ni dans les îles qui ne sont pas d’une grande étendue ; ils habitent la terre ferme dans les deux continents, parce qu’ordinairement les îles sont moins peuplées d’animaux. Les anciens avaient remarqué qu’on n’avait jamais vu d’aigles dans l’île de Rhodes ; ils regardèrent comme un prodige que, dans le temps où l’empereur Tibère se trouva dans cette île, un aigle vint se poser sur le toit de la maison où il était logé. Les aigles ne font en effet que passer dans les îles sans s’y habituer, sans y faire leur ponte ; et lorsque les voyageurs ont parlé d’aigles dont on trouve les nids sur le bord des eaux et dans les îles, ce ne sont pas les aigles dont nous venons de parler, mais les balbuzards et les orfraies qu’on appelle communément aigles de mer, qui sont des oiseaux d’un naturel différent, et qui vivent plutôt de poisson que de gibier.

C’est ici le lieu de rapporter les observations anatomiques que l’on a faites sur les parties intérieures des aigles, et je ne peux les puiser dans une meilleure source que dans les Mémoires de messieurs de l’Académie des Sciences,