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et mère n’ayant pas assez pour eux-mêmes cherchent à réduire leur famille, et dès que les petits commencent à être assez forts pour voler et se pourvoir d’eux-mêmes, ils les chassent au loin sans leur permettre de jamais revenir.

Les aiglons n’ont pas les couleurs du plumage aussi fortes que quand ils sont adultes ; ils sont d’abord blancs, ensuite d’un jaune pale, et deviennent enfin d’un fauve assez vif. La vieillesse, ainsi que les trop grandes diètes, les maladies et la trop longue captivité les font blanchir. On assure qu’ils vivent plus d’un siècle, et l’on prétend que c’est moins encore de vieillesse qu’ils meurent que de l’impossibilité de prendre de la nourriture, leur bec se recourbant si fort avec l’âge qu’il leur devient inutile : cependant on a vu, sur des aigles gardés dans les ménageries, qu’ils aiguisent leur bec, et que l’accroissement n’en était pas sensible pendant plusieurs années. On a aussi observé qu’on pouvait les nourrir avec toute sorte de chair, même avec celle des autres aigles, et que, faute de chair, ils mangent très bien du pain, des serpents, des lézards, etc. Lorsqu’ils ne sont point apprivoisés, ils mordent cruellement les chats, les chiens, les hommes, qui veulent les approcher. Ils jettent de temps en temps un cri aigu, sonore, perçant et lamentable, et d’un son soutenu. L’aigle boit très rarement et peut-être point du tout lorsqu’il est en liberté, parce que le sang de ses victimes suffit à sa soif. Ses excréments sont toujours mous et plus humides que ceux des autres oiseaux, même de ceux qui boivent fréquemment.

C’est à cette grande espèce qu’on doit rapporter le passage de Léon l’Africain que nous avons cité, et tous les autres témoignages des voyageurs en Afrique et en Asie, qui s’accordent à dire que cet oiseau enlève non seulement les agneaux, les chevreaux, les jeunes gazelles, mais qu’il attaque aussi, lorsqu’il est dresse, les renards et les loups[1].


L’AIGLE COMMUN

L’espèce de l’aigle commun[NdÉ 1] est moins pure, et la race en paraît moins noble que celle du grand aigle : elle est composée de deux variétés, l’aigle brun et l’aigle noir. Aristote ne les a pas distingués nommément, et il

  1. L’empereur (du Thibet) a plusieurs aigles privées qui sont si âpres et si ardentes qu’elles arrêtent et prennent les lièvres, chevreuils, daims et renards ; même il y en a d’aucunes de si grande hardiesse et témérité qu’elles osent bien assaillir et se ruer impétueusement sur le loup, auquel elles font tant de vexation et molestation qu’il peut être pris plus facilement. Marc Paul, liv. ii, p. 56.
  1. L’aigle commun de Buffon paraît ne devoir pas être considéré comme une espèce distincte. On pense que c’est simplement un aigle royal jeune, n’ayant pas plus de deux ou trois ans.