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ment dans ces méthodes à la distinction des espèces ; et un méthodiste ne croit avoir fait une bonne description que quand il a, d’après un plan donné et toujours uniforme, fait l’énumération de toutes les couleurs du plumage et de toutes les taches, bandes ou autres variétés qui s’y trouvent ; lorsque ces variétés sont grandes ou seulement assez sensibles pour être aisément remarquées, il en conclut sans hésiter que ce sont des indices certains de la différence des espèces ; et, en conséquence, on constitue autant d’espèces d’oiseaux qu’on remarque de différence dans les couleurs : cependant rien n’est plus fautif et plus incertain ; nous pourrions faire d’avance une longue énumération des doubles et triples emplois d’espèces faits par nos nomenclateurs, d’après cette méthode de la différence des couleurs. Mais il nous suffira de faire sentir ici les raisons sur lesquelles nous fondons cette critique, et de remonter en même temps à la source qui produit ces erreurs.

Tous les oiseaux en général muent dans la première année de leur âge, et les couleurs de leur plumage sont presque toujours, après cette première mue, très différentes de ce qu’elles étaient auparavant ; ce changement de couleur après le premier âge est assez général dans la nature, et s’étend jusqu’aux quadrupèdes qui portent alors ce qu’on appelle la livrée et qui perdent cette livrée, c’est-à-dire les premières couleurs de leur pelage, à la première mue. Dans les oiseaux de proie, l’effet de cette première mue change si fort les couleurs, leur distribution, leur position, qu’il n’est pas étonnant que les nomenclateurs, qui presque tous ont négligé l’histoire des oiseaux, aient donné comme des espèces diverses le même oiseau dans ces deux états différents dont l’un a précédé et l’autre suivi la mue : après ce premier changement, il s’en fait un second assez considérable à la seconde, et souvent encore un à la troisième mue ; en sorte que par cette seule première cause, l’oiseau de six mois, celui de dix-huit mois et celui de deux ans et demi, quoique le même, paraît être trois oiseaux différents, surtout à ceux qui n’ont pas étudié leur histoire, et qui n’ont d’autre guide, d’autre moyen de les connaître, que les méthodes fondées sur les couleurs.

Cependant ces couleurs changent souvent du tout au tout, non seulement par la cause générale de la mue, mais encore par un grand nombre d’autres causes particulières ; la différence des sexes est souvent accompagnée d’une grande différence dans la couleur ; il y a d’ailleurs des espèces qui, dans le même climat, varient indépendamment même de l’âge et du sexe ; il y en a, et en beaucoup plus grand nombre, dont les couleurs changent absolument par l’influence des différents climats. Rien n’est donc plus incertain que la connaissance des oiseaux, et surtout de ceux de proie dont il est ici question, par les couleurs et leur distribution ; rien de plus fautif que la distinction de leurs espèces, fondée sur des caractères aussi inconstants qu’accidentels.