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La disette, les soins, les inquiétudes, le travail forcé, diminuent dans tous les êtres les puissances et les effets de la génération. Nous l’avons vu dans les animaux quadrupèdes, et on le voit encore plus évidemment dans les oiseaux ; ils produisent d’autant plus qu’ils sont mieux nourris, plus choyés, mieux servis ; et si nous ne considérons que ceux qui sont livrés à eux-mêmes et exposés à tous les inconvénients qui accompagnent l’entière indépendance, nous trouverons qu’étant continuellement travaillés de besoins, d’inquiétudes et de crainte, ils n’usent pas, à beaucoup près, autant qu’il se pourrait, de toutes leurs puissances pour la génération ; ils semblent même en ménager les effets et les proportionner aux circonstances de leur situation. Un oiseau, après avoir construit son nid et fait sa ponte que je suppose de cinq œufs, cesse de pondre, et ne s’occupe que de leur conservation ; tout le reste de la saison sera employé à l’incubation et à l’éducation des petits, et il n’y aura point d’autre ponte ; mais si par hasard on brise les œufs, on renverse le nid, il en construit bientôt un autre, et pond encore trois ou quatre œufs, et si on détruit ce second ouvrage comme le premier, l’oiseau travaillera de nouveau, et pondra encore deux ou trois œufs ; cette seconde et cette troisième pontes dépendent donc en quelque sorte de la volonté de l’oiseau : lorsque la première réussit, et tant qu’elle subsiste, il ne se livre pas aux émotions d’amour et aux autres affections intérieures qui peuvent donner à de nouveaux œufs la vie végétative nécessaire à leur accroissement et à leur exclusion au dehors ; mais si la mort a moissonné sa famille naissante ou prête à naître, il se livre bientôt à ces affections, et démontre par un nouveau produit que ses puissances pour la génération n’étaient que suspendues et point épuisées, et qu’il ne se privait des plaisirs qui la précèdent que pour satisfaire au devoir naturel du soin de sa famille. Le devoir l’emporte donc encore ici sur la passion, et l’attachement sur l’amour ; l’oiseau paraît commander à ce dernier sentiment bien plus qu’au premier, auquel du moins il obéit toujours de préférence ; ce n’est que par la force qu’il se départ de l’attachement pour ses petits, et c’est volontairement qu’il renonce aux plaisirs de l’amour, quoique très en état d’en jouir.

De la même manière que, dans les oiseaux, les mœurs sont plus pures en amour, de même aussi les moyens d’y satisfaire sont plus simples que dans les quadrupèdes ; ils n’ont qu’une seule façon de s’accoupler[1], au

  1. « Genus avium omne eodem illo ac simplici more conjungitur, nempe fœminam mare supergrediente. » Aristot. Hist. anim., lib. v, cap. viii.

    l’énergie des causes de destruction dont les œufs ou les jeunes sont menacés. Cela résulte de ce que les femelles qui, dans une espèce déterminée, sont les plus prolifiques, ont plus de chances que les autres de voir une partie de leur progéniture résister aux agents de destruction. Les qualités génésiques étant, comme toutes les autres, héréditaires, les enfants d’un couple très prolifique le seront eux-mêmes beaucoup, et cette qualité se perpétuera, se perfectionnera même à mesure que la race s’étendra, tandis que les couples moins prolifiques n’auront pas laissé de descendants.