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Dans les animaux quadrupèdes, il n’y a que de l’amour physique et point d’attachement, c’est-à-dire nul sentiment durable entre le mâle et la femelle, parce que leur union ne suppose aucun arrangement précédent, et n’exige ni travaux communs ni soins subséquents ; dès lors point de mariage. Le mâle dès qu’il a joui se sépare de la femelle, soit pour passer à d’autres, soit pour se refaire ; il n’est ni mari ni père de famille, car il méconnaît et sa femme et ses enfants ; elle-même, s’étant livrée à plusieurs, n’attend de soins ni de secours d’aucun : elle reste seule chargée du poids de sa progéniture et des peines de l’éducation ; elle n’a d’attachement que pour ses petits, et ce sentiment dure souvent plus longtemps que dans l’oiseau : comme il paraît dépendre du besoin que les petits ont de leur mère, qu’elle les nourrit de sa propre substance, et que ses secours sont plus longtemps nécessaires dans la plupart des quadrupèdes qui croissent plus lentement que les oiseaux, l’attachement dure aussi plus longtemps ; il y a même plusieurs espèces d’animaux quadrupèdes où ce sentiment n’est pas détruit par de nouvelles amours, et où l’on voit la mère conduire également et soigner ses petits de deux ou trois portées. Il y a aussi quelques espèces de quadrupèdes dans lesquelles la société du mâle et de la femelle dure et subsiste pendant le temps de l’éducation des petits ; on le voit dans les loups et les renards ; le chevreuil surtout peut être regardé comme le modèle de la fidélité conjugale : il y a, au contraire, quelques espèces d’oiseaux dont la pariade ne dure pas plus longtemps que les besoins de l’amour[1] ; mais ces exceptions n’empêchent pas qu’en général la nature n’ait donné plus de constance en amour aux oiseaux qu’aux quadrupèdes.

Et ce qui prouve encore que ce mariage et ce moral d’amour n’est produit dans les oiseaux que par la nécessité d’un travail commun, c’est que ceux qui ne font point de nid ne se marient point et se mêlent indifféremment : on le voit par l’exemple familier de nos oiseaux de basse-cour ; le mâle paraît seulement avoir quelques attentions de plus pour ses femelles que n’en ont les quadrupèdes, parce qu’ici la saison des amours n’est pas limitée, qu’il peut se servir plus longtemps de la même femelle, que le temps des pontes est plus long, qu’elles sont plus fréquentes, qu’enfin, comme on enlève les œufs, les temps d’incubation sont moins pressés, et que les femelles ne demandent à couver que quand leurs puissances pour la génération se trouvent amorties et presque épuisées : ajoutez à toutes ces causes le peu de besoin que ces oiseaux domestiques ont de construire un nid pour se mettre en sûreté et se soustraire aux yeux, l’abondance dans laquelle ils vivent, la facilité de recevoir leur nourriture ou de la trouver

  1. Dès que la perdrix rouge femelle couve, le mâle l’abandonne et la laisse chargée seule de l’éducation des petits ; les mâles qui ont servi leurs femelles se rassemblent en compagnies et ne prennent plus aucun intérêt à leur progéniture. Cette remarque m’a été donnée par M. Leroy, lieutenant des chasses de Sa Majesté, à Versailles.