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l’homme, et l’oiseau, des sensations plus légères et aussi étendues que l’est le sens de la vue.

Mais il y a un sixième sens, qui, quoique intermittent, semble, lorsqu’il agit, commander à tous les autres, et produire alors les sensations dominantes, les mouvements les plus violents et les affections les plus intimes : c’est le sens de l’amour ; rien n’égale la force de ses impressions dans les animaux quadrupèdes, rien n’est plus pressant que leurs besoins, rien de plus fougueux que leurs désirs ; ils se recherchent avec l’empressement le plus vif, et s’unissent avec une espèce de fureur. Dans les oiseaux, il y a plus de tendresse, plus d’attachement, plus de morale en amour, quoique le fonds physique en soit peut-être encore plus grand que dans les quadrupèdes ; à peine peut-on citer, dans ceux-ci, quelques exemples de chasteté conjugale, et encore moins du soin des pères pour leur progéniture ; au lieu que dans les oiseaux ce sont les exemples contraires qui sont rares, puisqu’à l’exception de ceux de nos basses-cours et de quelques autres espèces, tous paraissent s’unir par un pacte constant, et qui dure au moins aussi longtemps que l’éducation de leurs petits.

C’est qu’indépendamment du besoin de s’unir, tout mariage suppose une nécessité d’arrangement pour soi-même et pour ce qui doit en résulter ; les oiseaux qui sont forcés, pour déposer leurs œufs, de construire un nid que la femelle commence par nécessité et auquel le mâle amoureux travaille par complaisance, s’occupant ensemble de cet ouvrage, prennent de l’attachement l’un pour l’autre ; les soins multipliés, les secours mutuels, les inquiétudes communes, fortifient ce sentiment, qui augmente encore et qui devient plus durable par une seconde nécessité, c’est de ne pas laisser refroidir les œufs, ni perdre le fruit de leurs amours pour lequel ils ont déjà pris tant de soins ; la femelle ne pouvant les quitter, le mâle va chercher et lui apporte sa subsistance ; quelquefois même il la remplace, ou se réunit avec elle pour augmenter la chaleur du nid et partager les ennuis de sa situation ; l’attachement qui vient de succéder à l’amour subsiste dans toute sa force pendant le temps de l’incubation, et il paraît s’accroître encore et s’épanouir davantage à la naissance des petits ; c’est une autre jouissance, mais en même temps ce sont de nouveaux liens ; leur éducation est un nouvel ouvrage auquel le père et la mère doivent travailler de concert. Les oiseaux nous représentent donc tout ce qui se passe dans un ménage honnête : de l’amour suivi d’un attachement sans partage, et qui ne se répand ensuite que sur la famille. Tout cela tient, comme l’on voit, à la nécessité de s’occuper ensemble de soins indispensables et de travaux communs ; et ne voit-on pas aussi que cette nécessité de travail ne se trouvant chez nous que dans la seconde classe, les hommes de la première pouvant s’en dispenser, l’indifférence et l’infidélité n’ont pu manquer de gagner les conditions élevées ?