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comme celle d’un navire, et dont le volume est si léger qu’il n’enfonce qu’autant qu’il faut pour se soutenir, sont, par toutes ces causes, presque aussi propres à nager qu’à voler ; et même cette faculté de nager se développe la première, car on voit les petits canards s’exercer sur les eaux longtemps avant que de prendre leur essor dans les airs.

Dans les quadrupèdes, surtout dans ceux qui ne peuvent rien saisir avec leurs doigts, qui n’ont que des cornes aux pieds ou des ongles durs, le sens du toucher paraît être réuni avec celui du goût dans la gueule : comme c’est la seule partie qui soit divisée, et par laquelle ils puissent saisir les corps et en connaître la forme, en appliquant à leur surface la langue, le palais et les dents, cette partie est le principal siège de leur toucher, ainsi que de leur goût. Dans les oiseaux, le toucher de cette partie est donc au moins aussi imparfait que dans les quadrupèdes, parce que leur langue et leur palais sont moins sensibles ; mais il paraît qu’ils l’emportent sur ceux-ci par le toucher des doigts, et que le principal siège de ce sens y réside ; car, en général, ils se servent de leurs doigts beaucoup plus que les quadrupèdes, soit pour saisir[1], soit pour palper les corps ; néanmoins l’intérieur des doigts étant, dans les oiseaux, toujours revêtu d’une peau dure et calleuse, le tact ne peut en être délicat, et les sensations qu’il produit doivent être assez peu distinctes.

Voici donc l’ordre des sens, tel que la nature paraît l’avoir établi pour les différents êtres que nous considérons. Dans l’homme, le toucher est le premier, c’est-à-dire le plus parfait ; le goût est le second, la vue le troisième, l’ouïe le quatrième et l’odorat le dernier des sens. Dans le quadrupède, l’odorat est le premier, le goût le second, ou plutôt ces deux sens n’en font qu’un ; la vue, le troisième ; l’ouïe, le quatrième, et le toucher le dernier. Dans l’oiseau, la vue est le premier, l’ouïe est le second, le toucher le troisième, le goût et l’odorat les derniers. Les sensations dominantes, dans chacun de ces êtres, suivront le même ordre : l’homme sera plus ému par les impressions du toucher, le quadrupède par celles de l’odorat, et l’oiseau par celles de la vue ; la plus grande partie de leurs jugements, de leurs déterminations, dépendront de ces sensations dominantes ; celles des autres sens, étant moins fortes et moins nombreuses, seront subordonnées aux premières et n’influeront qu’en second sur la nature de l’être. L’homme sera aussi réfléchi que le sens du toucher paraît grave et profond ; le quadrupède aura des appétits plus véhéments que ceux de

  1. Nous avons vu, dans l’Histoire des animaux quadrupèdes, qu’il n’y en a pas un tiers qui se servent de leurs pieds de devant pour porter à leur gueule, au lieu que la plupart des oiseaux se servent d’une de leurs pattes pour porter à leur bec ; quoique cet acte doive leur coûter plus qu’aux quadrupèdes, puisque n’ayant que deux pieds ils sont obligés de se soutenir avec effort sur un seul pendant que l’autre agit ; au lieu que le quadrupède est alors appuyé sur les trois autres pieds, ou assis sur les parties postérieures de son corps.