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dégénère quelquefois en fureur contre les couvées étrangères, que la mère poursuit souvent et maltraite à grands coups de bec.

Les perdreaux ont les pieds jaunes en naissant ; cette couleur s’éclaircit ensuite et devient blanchâtre, puis elle brunit, et enfin devient tout à fait noire dans les perdrix de trois ou quatre ans : c’est un moyen de connaître toujours leur âge ; on le connaît encore à la forme de la dernière plume de l’aile, laquelle est pointue après la première mue, et qui l’année suivante est entièrement arrondie.

La première nourriture des perdreaux ce sont les œufs de fourmis, les petits insectes qu’ils trouvent sur la terre et les herbes : ceux qu’on nourrit dans les maisons refusent la graine assez longtemps, et il y a apparence que c’est leur dernière nourriture ; à tout âge ils préfèrent la laitue, la chicorée, le mouron, le laitron, le seneçon et même la pointe des blés verts ; dès le mois de novembre on leur en trouve le jabot rempli, et pendant l’hiver ils savent bien l’aller chercher sous la neige : lorsqu’elle est endurcie par la gelée, ils sont réduits à aller auprès des fontaines chaudes, qui ne sont point glacées, et à vivre des herbes qui croissent sur leurs bords et qui leur sont très contraires ; en été on ne les voit pas boire.

Ce n’est qu’après trois mois passés que les jeunes perdreaux poussent le rouge ; car les perdrix grises ont aussi du rouge à côté des tempes entre l’œil et l’oreille, et le moment où ce rouge commence à paraître est un temps de crise pour ces oiseaux comme pour tous les autres qui sont dans ce cas : cette crise annonce l’âge adulte. Avant ce temps ils sont délicats, ont peu d’aile et craignent beaucoup l’humidité ; mais après qu’il est passé ils deviennent robustes, commencent à avoir de l’aile, à partir tous ensemble, à ne se plus quitter, et, si l’on est parvenu à disperser la compagnie, ils savent se réunir malgré toutes les précautions du chasseur.

C’est en se rappelant qu’ils se réunissent. Tout le monde connaît le chant des perdrix, qui est fort peu agréable ; c’est moins un chant ou un ramage qu’un cri aigre imitant assez bien le bruit d’une scie ; et ce n’est pas sans intention que les mythologistes ont métamorphosé en perdrix l’inventeur de cet instrument[1] : le chant du mâle ne diffère de celui de la femelle qu’en ce qu’il est plus fort et plus traînant ; le mâle se distingue encore de la femelle par un éperon obtus qu’il a à chaque pied, et par une marque noire en forme de fer à cheval, qu’il a sous le ventre, et que la femelle n’a pas.

Dans cette espèce, comme dans beaucoup d’autres, il naît plus de mâles que de femelles[2] ; et il importe, pour la réussite des couvées, de détruire les mâles surnuméraires, qui ne font que troubler les paires assorties et nuire à la propagation. La manière la plus usitée de les prendre, c’est de les faire rappeler au temps de la pariade par une femelle à qui, dans cette

  1. Ovide, Métamorphoses, liv. viii.
  2. Cela va à environ un tiers de plus, selon M. Leroy.