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rien ne peut la rendre complète que l’histoire et la description de chaque espèce en particulier.

Comme la mastication manque aux oiseaux, que le bec ne représente qu’à certains égards la mâchoire des quadrupèdes, que même il ne peut suppléer que très imparfaitement à l’office des dents[1], qu’ils sont forcés d’avaler les graines entières ou à demi concassées, et qu’ils ne peuvent les broyer avec le bec, ils n’auraient pu les digérer, ni par conséquent se nourrir, si leur estomac eût été conformé comme celui des animaux qui ont des dents[NdÉ 1] ; les oiseaux granivores ont des gésiers, c’est-à-dire des estomacs d’une substance assez ferme et assez solide pour broyer les aliments, à l’aide de quelques petits cailloux qu’ils avalent ; c’est comme s’ils portaient et plaçaient à chaque fois des dents dans leur estomac où l’action du broiement et de la trituration par le frottement[2] est bien plus grande que dans les quadrupèdes et même dans les animaux carnassiers qui n’ont point de gésier, mais un estomac souple et assez semblable à celui des autres animaux : on a observé que ce seul frottement dans le gésier avait rayé profondément et usé presque aux trois quarts plusieurs pièces de monnaie qu’on avait fait avaler à une autruche[3].

  1. Dans les perroquets et dans beaucoup d’autres oiseaux, la partie supérieure du bec est mobile comme l’inférieure ; au lieu que, dans les animaux quadrupèdes, il n’y a que la mâchoire inférieure qui soit mobile.
  2. De tous les animaux il n’y en a point dont la digestion soit plus favorable au système de la trituration que celle des oiseaux ; leur gésier a toute la force et la direction de fibres nécessaires, et les oiseaux voraces qui ne se donnent pas le loisir de séparer l’écorce dure des graines qu’ils prennent pour nourriture avalent en même temps de petites pierres par le moyen desquelles leur gésier, en se contractant fortement, casse ces écorces ; c’est là une vraie trituration, mais ce n’est que celle qui dans les autres animaux appartient aux dents ; seulement elle est transposée dans ceux-ci et remise à leur estomac, ce qui n’empêche pas ses liqueurs de dissoudre les graines dépouillées de leur écorce par le broiement ou frottement des petites pierres : avant cet estomac, il y a encore une espèce de poche qui doit y verser une grande quantité de suc blanchâtre, puisque, même après la mort de l’animal, on peut l’en exprimer en la pressant légèrement. M. Helvétius ajoute qu’on trouve quelquefois dans l’œsophage du cormoran des poissons à demi digérés. Histoire de l’Académie des Sciences, année 1719, p. 37.
  3. On trouva dans l’estomac d’une autruche jusqu’à soixante-dix doubles, la plupart consumés presque des trois quarts, et rayés par le frottement mutuel et par celui des cailloux, et
  1. Buffon, qui plus haut raille avec beaucoup de raison « les gens amoureux des causes finales », paraît bien avoir compris que le gésier des oiseaux est la conséquence de leur mode d’alimentation, que c’est la fonction qui a créé l’organe, mais il ne l’indique pas assez nettement. Nous savons aujourd’hui, d’une façon absolument certaine, que les premières formes ancestrales des oiseaux étaient des animaux voisins des reptiles. Il est également permis de supposer que les oiseaux furent d’abord aquatiques, et, par suite, se nourrissaient de viande. Ce n’est qu’ultérieurement et à mesure qu’ils devinrent terrestres, que leur mode d’alimentation changea et qu’ils commencèrent à se nourrir d’herbes molles d’abord, puis de plantes plus dures et enfin de graines. Ce changement d’alimentation dut entraîner la production d’un organe de mastication adapté aux aliments nouveaux. Pour des motifs qu’il est bien difficile de préciser, les mâchoires ne s’étant pas développées en organes externes de mastication, ce fut une portion interne du tube digestif qui s’adapta à cette fonction. De là, sans nul doute, la production du gésier des granivores.