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C’est donc sans connaissance et sans réflexion que quelques naturalistes[1] ont divisé les genres des oiseaux par leur manière de vivre ; cette idée eût été plus applicable aux quadrupèdes, parce que leur goût étant plus vif et plus sensible, leurs appétits sont plus décidés, quoique l’on puisse dire avec raison des quadrupèdes comme des oiseaux que la plupart de ceux qui se nourrissent de plantes ou d’autres aliments maigres pourraient aussi manger de la chair. Nous voyons les poules, les dindons et les autres oiseaux qu’on appelle granivores, rechercher les vers, les insectes, les parcelles de viande encore plus soigneusement qu’ils ne cherchent les graines ; on nourrit avec de la chair hachée le rossignol qui ne vit que d’insectes ; les chouettes, qui sont naturellement carnassières, mais qui ne peuvent attraper la nuit que des chauves-souris, se rabattent sur les papillons phalènes qui volent aussi dans l’obscurité : le bec crochu n’est pas, comme le disent les gens amoureux des causes finales, un indice, un signe certain d’un appétit décidé pour la chair, ni un instrument fait exprès pour la déchirer, puisque les perroquets et plusieurs autres oiseaux dont le bec est crochu semblent préférer les fruits et les graines à la chair ; ceux qui sont les plus voraces, les plus carnassiers, mangent du poisson, des crapauds, des reptiles, lorsque la chair leur manque. Presque tous les oiseaux qui paraissent ne vivre que de graines ont néanmoins été nourris dans le premier âge par leurs pères et mères avec des insectes. Ainsi rien n’est plus gratuit et moins fondé que cette division des oiseaux tirée de leur manière de vivre, ou de la différence de leur nourriture ; jamais on ne déterminera la nature d’un être par un seul caractère ou par une seule habitude naturelle ; il faut au moins en réunir plusieurs, car plus les caractères seront nombreux et moins la méthode aura d’imperfection ; mais, comme nous l’avons tant dit et répété,

  1. M. Frisch, dont l’ouvrage est d’ailleurs très recommandable à beaucoup d’égards (Hist. des ois., avec des planches coloriées. Berlin, 1736), divise tous les oiseaux en douze classes, dont la première comprend les petits oiseaux à bec court et épais, ouvrant les graines en deux parties égales ; la seconde contient les petits oiseaux à bec menu, mangeant des mouches et des vers ; la troisième, les merles et les grives ; la quatrième, les pics, coucous, huppes et perroquets ; la cinquième, les geais et les pies ; la sixième, les corbeaux et corneilles ; la septième, les oiseaux de proie diurnes ; la huitième, les oiseaux de proie nocturnes ; la neuvième, les poules domestiques et sauvages ; la dixième, les pigeons domestiques et sauvages ; la onzième, les oies, canards et autres animaux nageants ; la douzième, les oiseaux qui aiment les eaux et les terrains aquatiques. On voit bien que l’habitude d’ouvrir les graines en deux parties égales ne doit pas faire un caractère, puisque, dans cette même classe, il y a des oiseaux, comme les mésanges, qui ne les ouvrent pas en deux, mais qui les percent et les déchirent ; que d’ailleurs tous les oiseaux de cette première classe, qui sont supposés ne se nourrir que de graines, mangent aussi des insectes et des vers comme ceux de la seconde : il valait donc mieux réunir ces deux classes en une, comme l’a fait M. Linnæus (Syst. nat., édit. X, t. I, p. 85) ; ou bien, M. Frisch, qui prend pour caractère de la première classe cette manière de manger les graines, aurait dû faire en conséquence une classe particulière des mésanges et des autres oiseaux qui les percent ou les déchirent, et en même temps il n’aurait dû faire qu’une seule classe des poules et des pigeons qui les avalent également sans les percer ni les ouvrir en deux : et néanmoins il fait des poules et des pigeons deux classes séparées.