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par des soins continuels, dirigés avec la plus grande intelligence, qu’on peut les y fixer en leur faisant, pour ainsi dire, un climat artificiel convenable à leur nature, et cela est si vrai qu’on ne voit pas qu’ils se soient multipliés dans la Brie, où il s’en échappe toujours quelques-uns des capitaineries voisines, et où même ils s’apparient quelquefois, parce qu’il est arrivé à M. Leroy, lieutenant des chasses de Versailles[1], d’en trouver le nid et les œufs dans les grands bois de cette province. Cependant ils y vivent dans l’état de liberté, état si favorable à la multiplication des animaux, et néanmoins insuffisant pour ceux même qui, comme les faisans, paraissent en mieux sentir le prix, lorsque le climat est contraire. Nous avons vu, en Bourgogne, un homme riche faire tous ses efforts et ne rien épargner pour en peupler sa terre, située dans l’Auxois, sans en pouvoir venir à bout : tout cela me donne des doutes sur les deux faisans que Regnard prétend avoir tués en Botnie[2], ainsi que sur ceux qu’Olaus Magnus dit se trouver dans la Scandinavie, et y passer l’hiver sous la neige sans prendre de nourriture[3]. Cette façon de passer l’hiver sous la neige a plus de rapport avec les habitudes des coqs de bruyère et des gelinottes qu’avec celles des faisans ; de même que le nom de gallæ sylvestres, qu’Olaus donne à ces prétendus faisans, convient beaucoup mieux aux tétras ou coqs de bruyère ; et ma conjecture a d’autant plus de force que ni M. Linnæus, ni aucun bon observateur, n’a dit avoir vu de véritables faisans dans les pays septentrionaux ; en sorte qu’on peut croire que ce nom de faisan aura été d’abord appliqué par les habitants de ces pays à des tétras ou des gelinottes, qui sont en effet très répandus dans le Nord, et qu’ensuite ce nom aura été adopté sans beaucoup d’examen par les voyageurs et même par les compilateurs, tous gens peu attentifs à distinguer les espèces.

Cela supposé, il suffit de remarquer que le faisan a l’aile courte, et conséquemment le vol pesant et peu élevé, pour conclure qu’il n’aura pu franchir de lui-même les mers interposées entre les pays chauds ou même tempérés de l’ancien continent et l’Amérique ; et cette conclusion est confirmée par l’expérience, car dans tout le nouveau monde il ne s’est point trouvé de vrais faisans, mais seulement des oiseaux qui peuvent à toute force être regardes comme leurs représentants ; car je ne parle point de ces faisans véritables qui abondent aujourd’hui dans les habitations de Saint-Domingue, et qui y ont été transportés par les Européens, ainsi que les paons et les peintades[4].

  1. C’est à lui que je dois la plupart de ces faits : il est peu d’hommes qui aient si bien observé les animaux qui sont à sa disposition, et qui ait communiqué ses observations avec plus de zèle.
  2. Regnard, Voyage de Laponie, p. 105.
  3. « Olaus Magnus non solum phasianos sive gallos sylvestres in quibusdam Scandinaviæ locis reperiri scribit, at, quod mirum est, sub nive absque cibo latitare. » Voyez Aldrovande, Ornithologia, t. II, p. 51.
  4. Histoire de l’île espagnole de Saint-Domingue, p. 39.