Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/434

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LE PAON


Si l’empire appartenait à la beauté et non à la force, le paon[NdÉ 1] serait, sans contredit, le roi des oiseaux ; il n’en est point sur qui la nature ait versé ses trésors avec plus de profusion : la taille grande, le port imposant, la démarche fière, la figure noble, les proportions du corps élégantes et sveltes, tout ce qui annonce un être de distinction lui a été donné ; une aigrette mobile et légère, peinte des plus riches couleurs, orne sa tête et l’élève sans la charger ; son incomparable plumage semble réunir tout ce qui flatte nos yeux dans le coloris tendre et frais des plus belles fleurs, tout ce qui les éblouit dans les reflets pétillants des pierreries, tout ce qui les étonne dans l’éclat majestueux de l’arc-en-ciel ; non seulement la nature a réuni sur le plumage du paon toutes les couleurs du ciel et de la terre pour en faire le chef-d’œuvre de sa magnificence, elles les a encore mêlées, assorties, nuancées, fondues de son inimitable pinceau et en a fait un tableau unique, où elles tirent de leur mélange avec des nuances plus sombres, et de leurs oppositions entre elles, un nouveau lustre et des effets de lumière si sublimes que notre art ne peut ni les imiter ni les décrire.

Tel paraît à nos yeux le plumage du paon, lorsqu’il se promène paisible et seul dans un beau jour de printemps ; mais si sa femelle vient tout à coup à paraître, si les feux de l’amour, se joignant aux secrètes influences de la saison, le tirent de son repos, lui inspirent une nouvelle ardeur et de nouveaux désirs, alors toutes ses beautés se multiplient, ses yeux s’animent et prennent de l’expression, son aigrette s’agite sur sa tête et annonce l’émotion intérieure ; les longues plumes de sa queue déploient, en se relevant, leurs richesses éblouissantes ; sa tête et son cou, se renversant noblement en arrière, se dessinent avec grâce sur ce fond radieux, où la lumière du soleil se joue en mille manières, se perd et se reproduit sans cesse, et semble prendre un nouvel éclat plus doux et plus moelleux, de nouvelles couleurs plus variées et plus harmonieuses ; chaque mouvement de l’oiseau produit des milliers de nuances nouvelles, des gerbes de reflets ondoyants et fugitifs,

  1. Pavo cristatus L. [Note de Wikisource : actuellement Pavo cristatus Linnæus, vulgairement paon bleu]. — Les Paons sont des Gallinacés de la famille des Phasianidés. Ils se distinguent des Coqs, qui appartiennent à la même famille, par une tête dépourvue de lobes cutanés et ornée d’une aigrette, et, chez le mâle, par une queue à couvertures longues et ornées de dessins en forme d’yeux.