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On juge bien que c’est cette saison où les tétras sont en amour que l’on choisit pour leur donner la chasse ou pour leur tendre des pièges. Je donnerai, en parlant de la petite espèce à queue fourchue, quelques détails sur cette chasse, surtout ceux qui seront les plus propres à faire connaître les mœurs et le naturel de ces oiseaux : je me bornerai à dire ici que l’on fait très bien, même pour favoriser la multiplication de l’espèce, de détruire les vieux coqs, parce qu’ils ne souffrent point d’autres coqs sur leurs plaisirs, et cela dans une étendue de terrain assez considérable ; en sorte que ne pouvant suffire à toutes les poules de leur district, plusieurs d’entre elles sont privées de mâles et ne produisent que des œufs inféconds.

Quelques oiseleurs prétendent qu’avant de s’accoupler, ces animaux se préparent une place bien nette et bien unie[1], et je ne doute pas qu’en effet on n’ait vu des places ; mais je doute fort que les tétras aient eu la prévoyance de les préparer : il est bien plus simple de penser que ces places sont les endroits du rendez-vous habituel du coq avec ses poules, lesquels endroits doivent être, au bout d’un mois ou deux de fréquentation journalière, certainement plus battus que le reste du terrain.

La femelle du tétras pond ordinairement cinq ou six œufs au moins, et huit ou neuf au plus. Schwenckfeld prétend que la première ponte est de huit, et les suivantes de douze, quatorze et jusqu’à seize[2] ; ces œufs sont blancs, marquetés de jaune, et, selon le même Schwenckfeld, plus gros que ceux des poules ordinaires ; elle les dépose sur la mousse en un lieu sec, où elle les couve seule et sans être aidée par le mâle[3] : lorsqu’elle est obligée de les quitter pour aller chercher sa nourriture, elle les cache sous les feuilles avec grand soin ; et, quoiqu’elle soit d’un naturel très sauvage, si on l’approche tandis qu’elle est sur ses œufs, elle reste et ne les abandonne que

  1. Gesner, de Avibus, p. 492.
  2. Aviarium Silesiæ, p. 372. Cette gradation est conforme à l’observation d’Aristote : « Ex primo coitu aves ova edunt pauciora. » Hist. animal., lib. v, cap. xiv. Il me paraît seulement que le nombre des œufs est trop grand.
  3. Je crois avoir lu quelque part qu’elle couvait pendant environ vingt-huit jours, ce qui est assez probable vu la grosseur de l’oiseau.

    années, dit-il, vivait non loin de chez moi un coq de bruyère qui avait attiré sur lui l’attention générale. Pendant la saison des amours il se tenait tout auprès d’un chemin assez fréquenté, et montrait qu’il n’avait, à ce moment, aucune peur des hommes. Au lieu de s’enfuir, il s’approchait d’eux, leur courait après, leur mordait les jambes, leur donnait des coups d’aile : il était difficile de l’éloigner. Un chasseur s’en empara et le porta à deux lieues plus loin : le lendemain il était revenu à son ancienne place. Un homme l’enleva et le prit sous son bras pour le porter au forestier ; il se laissa prendre très tranquillement ; mais dès qu’il vit sa liberté en danger, il commença à se défendre avec ses pattes et déchira les vêtements de son ravisseur, qui dut se résoudre à le lâcher. Pour les gens crédules, il était devenu un animal extraordinaire. Il surprit souvent des voleurs de bois ; aussi, dans toute la contrée courait la légende que les forestiers avaient fait entrer en lui un mauvais esprit, et le contraignaient d’apparaître là où ils ne pouvaient aller eux-mêmes. Ce fut cette croyance superstitieuse qui sauva cet oiseau pendant plusieurs mois. »