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moins dans son opinion ; il disait, pour la défendre, que cet accouplement n’était qu’un jeu, un badinage, qui mettait bien le sceau à la fécondation, mais qui ne l’opérait point, vu qu’elle était l’effet immédiat de la déglutition de la semence… En vérité c’est s’arrêter trop longtemps sur de telles absurdités.

Les tétras mâles commencent à entrer en chaleur dans les premiers jours de février : cette chaleur est dans toute sa force vers les derniers jours de mars, et continue jusqu’à la pousse des feuilles. Chaque coq, pendant sa chaleur, se tient dans un certain canton d’où il ne s’éloigne pas ; on le voit alors soir et matin se promenant sur le tronc d’un gros pin ou d’un autre arbre, ayant la queue étalée en rond, les ailes traînantes, le cou porté en avant, la tête enflée, sans doute par le redressement de ses plumes, et prenant toutes sortes de postures extraordinaires, tant il est tourmenté par le besoin de répandre ses molécules organiques superflues : il a un cri particulier pour appeler ses femelles, qui lui répondent et accourent sous l’arbre où il se tient, et d’où il descend bientôt pour les cocher et les féconder ; c’est probablement à cause de ce cri singulier, qui est très fort et se fait entendre de loin, qu’on lui a donné le nom de faisan bruyant. Ce cri commence par une espèce d’explosion suivie d’une voix aigre et perçante, semblable au bruit d’une faux qu’on aiguise : cette voix cesse et recommence alternativement, et après avoir ainsi continué à plusieurs reprises pendant une heure environ, elle finit par une explosion semblable à la première[1].

Le tétras, qui dans tout autre temps est fort difficile à approcher, se laisse surprendre très aisément lorsqu’il est en amour, et surtout tandis qu’il fait entendre son cri de rappel ; il est alors si étourdi du bruit qu’il fait lui-même, ou, si l’on veut, tellement enivré, que ni la vue d’un homme, ni même les coups de fusil ne le déterminent à prendre sa volée ; il semble qu’il ne voie ni n’entende, et qu’il soit dans une espèce d’extase[2] ; c’est pour cela que l’on dit communément, et que l’on a même écrit que le tétras est alors sourd et aveugle ; cependant il ne l’est guère que comme le sont, en pareille circonstance, presque tous les animaux, sans en excepter l’homme : tous éprouvent plus ou moins cette extase d’amour, mais apparemment qu’elle est plus marquée dans le tétras ; car en Allemagne on donne le nom d’auer-hahn aux amoureux qui paraissent avoir oublié tout autre soin pour s’occuper uniquement de l’objet de leur passion[3], et même à toute personne qui montre une insensibilité stupide pour ses plus grands intérêts[NdÉ 1].

  1. Journal économique, Avril 1753.
  2. « In tantum aucta ut in terrâ quoque immobilis prehendatur. » Ce que Pline attribue ici à la grosseur du tétras n’est peut-être qu’un effet de sa chaleur et de l’espèce d’ivresse qui l’accompagne.
  3. J.-L. Frisch, sur les oiseaux ; discours relatif à la fig. cvii.
  1. Brehm père raconte un fait qui met bien en relief l’excitation singulière à laquelle se trouve soumis le Coq de bruyère mâle pendant la période des amours. « Il y a quelques