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sément qu’ils avaient été transportés des Nouvelles-Indes en Europe plus d’un siècle auparavant[1].

Tout concourt donc à prouver que l’Amérique est le pays natal des dindons ; et comme ces sortes d’oiseaux sont pesants, qu’ils n’ont pas le vol élevé et qu’ils ne nagent point, ils n’ont pu en aucune manière traverser l’espace qui sépare les deux continents pour aborder en Afrique, en Europe ou en Asie : ils se trouvent donc dans le cas des quadrupèdes, qui, n’ayant pu sans le secours de l’homme passer d’un continent à l’autre, appartiennent exclusivement à l’un des deux ; et cette considération donne une nouvelle force au témoignage de tant de voyageurs qui assurent n’avoir jamais vu de dindons sauvages, soit en Asie, soit en Afrique, et n’y en avoir vu de domestiques que ceux qui y avaient été apportés d’ailleurs.

Cette détermination du pays naturel des dindons influe beaucoup sur la solution d’une autre question qui, au premier coup d’œil, ne semble pas y avoir du rapport. J. Sperling, dans sa Zoologia physica, page 369, prétend que le dindon est un monstre (il aurait dû dire un mulet), provenant du mélange de deux espèces, celles du paon et du coq ordinaire ; mais s’il est bien prouvé, comme je le crois, que les dindons soient d’origine américaine, il n’est pas possible qu’ils aient été produits par le mélange de deux espèces asiatiques telles que le coq et le paon ; et ce qui achève de démontrer qu’en effet cela n’est pas, c’est que dans toute l’Asie on ne trouve point de dindons sauvages, tandis qu’ils fourmillent en Amérique ; mais, dira-t-on, que signifie donc ce nom de gallo-pavus (coq-paon), si anciennement appliqué au dindon ? Rien de plus simple : le dindon était un oiseau étranger, qui n’avait point de nom dans nos langues européennes ; et comme on lui a trouvé des rapports assez marqués avec le coq et le paon, on a voulu indiquer ces rapports par le nom composé de gallo-pavus, d’après lequel Sperling et quelques autres auront cru que le dindon était réellement le produit du mélange de l’espèce du paon avec celle du coq, tandis qu’il n’y avait que les noms de mêlés ; tant il est dangereux de conclure du mot à la chose ; tant il est important de ne point appliquer aux animaux de ces noms composés qui sont presque toujours susceptibles d’équivoque.

M. Edwards parle d’un autre mulet qu’il dit être le mélange de l’espèce du dindon avec celle du faisan ; l’individu sur lequel il a fait sa description[2] avait été tué d’un coup de fusil dans les bois voisins de Handford, dans la province de Dorset, où il fut aperçu, au mois d’octobre 1759, avec deux ou trois autres oiseaux de la même espèce : il était en effet d’une grosseur moyenne entre le faisan et le dindon, ayant trente-deux pouces de vol ; une petite aigrette de plumes noires assez longues, s’élevait sur la base du

  1. Zoologia physica, p. 366.
  2. Glanures, planche cccxxxvii.