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regarder cet oiseau comme naturel, appartenant en propre au continent de l’Amérique, surtout de l’Amérique septentrionale, ils ne s’accordent pas moins à déposer qu’il ne s’en trouve point, ou que très peu, dans toute l’Asie.

Gemelli Careri nous apprend que non seulement il n’y en a point aux Philippines, mais que ceux même que les Espagnols y avaient apportés de la Nouvelle-Espagne n’avaient pu y prospérer[1].

Le P. du Halde assure qu’on ne trouve à la Chine que ceux qui y ont été transportés d’ailleurs : il est vrai que dans le même endroit ce jésuite suppose qu’ils sont fort communs dans les Indes orientales ; mais il paraît que ce n’est en effet qu’une supposition fondée sur des ouï-dire, au lieu qu’il était témoin oculaire de ce qu’il dit de la Chine[2].

Le P. de Bourzes, autre jésuite, raconte qu’il n’y en a point dans le royaume de Maduré, situé en la presqu’île en deçà du Gange ; d’où il conclut avec raison que ce sont apparemment les Indes occidentales qui ont donné leur nom à cet oiseau[3].

Dampier n’en a point vu non plus à Mindanao[4] ; Chardin[5] et Tavernier, qui ont parcouru l’Asie[6], disent positivement qu’il n’y a point de dindons dans tout ce vaste pays : selon le dernier de ces voyageurs, ce sont les Arméniens qui les ont portés en Perse, où ils ont mal réussi, comme ce sont les Hollandais qui les ont portés à Batavia, où ils ont beaucoup mieux prospéré.

Enfin Bosman et quelques autres voyageurs nous disent que, si l’on voit les dindons au pays de Congo, à la côte d’Or, au Sénégal et autres lieux de l’Afrique, ce n’est que dans les comptoirs et chez les étrangers, les naturels du pays en faisant peu d’usage ; et, selon les mêmes voyageurs, il est visible que ces dindons sont provenus de ceux que les Portugais et autres Européens avaient apportés dans les commencements avec la volaille ordinaire[7].

Je ne dissimulerai pas que Aldrovande, Gesner, Belon et Ray ont prétendu que les dindons étaient originaires d’Afrique ou des Indes orientales ; et, quoique leur sentiment soit peu suivi aujourd’hui, je crois devoir à de si grands noms de ne point le rejeter sans quelque discussion.

Aldrovande a voulu prouver fort au long que les dindons étaient les véritables méléagrides des anciens, autrement les poules d’Afrique ou de Numidie, dont le plumage est couvert de taches rondes en forme de gouttes

  1. Voyages, t. V, p. 271 et 272.
  2. Histoire générale des voyages, t. VI, p. 487.
  3. Lettre du 21 septembre 1713, parmi les Lettres édifiantes.
  4. Nouveau voyage, t. I, p. 406.
  5. Voyages de Chardin, t. II, p. 29.
  6. Voyages de Tavernier, t. II, p. 22.
  7. Voyages de Bosman, p. 242.