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Aldrovande n’est pas plus heureux dans ses conjectures, lorsqu’il prend pour une outarde cet aigle frugivore dont parle Élien[1], à cause de sa grandeur[2], comme si le seul attribut de la grandeur suffisait pour faire naître l’idée d’un aigle ; il me paraît bien plus vraisemblable qu’Élien voulait parler du grand vautour, qui est un oiseau de proie comme l’aigle, et même plus puissant que l’aigle commun, et qui devient frugivore dans les cas de nécessité : j’ai ouvert un de ces oiseaux qui avait été démonté par un coup de fusil et qui avait passé plusieurs jours dans les champs semés de blé ; je ne lui trouvai dans les intestins qu’une bouillie verte, qui était évidemment de l’herbe à demi digérée.

On retrouverait bien plutôt les caractères de l’outarde dans le tetrax d’Athénée, plus grand que les plus gros coqs (et on sait qu’il y en a de très gros en Asie) n’ayant que trois doigts aux pieds, des barbes qui lui tombent de chaque côté du bec, le plumage émaillé, la voix grave, et dont la chair a le goût de celle de l’autruche, avec qui l’outarde a tant d’autres rapports[3] ; mais ce tetrax ne peut être l’outarde, puisque c’est un oiseau dont, selon Athénée, il n’est fait aucune mention dans les livres d’Aristote, au lieu que ce philosophe parle de l’outarde en plusieurs endroits.

On pourrait encore soupçonner, avec M. Perrault[4], que ces perdrix des Indes dont parle Strabon, qui ne sont pas moins grosses que des oies, sont des espèces d’outardes ; le mâle diffère de la femelle par les couleurs du plumage qu’il a autrement distribuées et plus vives, par ces barbes de plumes qui lui tombent des deux côtés sur le cou, dont il est surprenant que M. Perrault n’ait point parlé et dont mal à propos Albin a orné la figure de la femelle, par sa grosseur presque double de celle de la femelle, ce qui est une des plus grandes disproportions qui aient été observées en aucune autre espèce de la taille de la femelle à celle du mâle[5].

Belon[6] et quelques autres, qui ne connaissaient ni le casoar, ni le touyou, ni le dronte, ni peut-être le griffon ou grand vautour, regardaient l’outarde comme un oiseau de la seconde grandeur, et le plus gros après l’autruche : cependant le pélican, qui ne leur était pas inconnu[7], est beaucoup plus grand selon M. Perrault ; mais il peut se faire que Belon ait vu une grosse outarde et un petit pélican, et dans ce cas tout son tort sera,

  1. Lib. ix, de Nat. Animal., cap. x. Cet aigle, selon Élien, s’appelait aigle de Jupiter, et était encore plus frugivore que l’outarde, qui mange des vers de terre ; au lieu que l’aigle dont il s’agit ne mange aucun animal.
  2. Ornithologie, t. II, page 93.
  3. Gesner, de Avibus, p. 487. « Otis avis fidipes est, tribus insistens digitis, magnitudine gallinacei majoris, capite oblongo, oculis amplis, rostro acuto, linguâ osseâ, gracili collo. »
  4. Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, partie ii, p. 102.
  5. Edwards, Hist. nat. of Birds, pl. lxxiv.
  6. Ibidem, p. 236.
  7. Ibidem, page 153.