qui par conséquent passe les premiers temps de sa vie sans aucune société avec d’autres oiseaux de son âge, et n’ayant qu’un commerce de nécessité avec ses père et mère, sauvages eux-mêmes, ne serait-il pas maintenu par l’exemple et par l’habitude ? On sait combien les habitudes premières ont d’influences sur les premières inclinations qui forment le naturel ; et il est à présumer que toute espèce où la femelle ne couvera qu’un œuf à la fois sera sauvage comme notre solitaire ; cependant il paraît encore plus timide que sauvage, car il se laisse approcher et s’approche même assez familièrement, surtout lorsqu’on ne court pas après lui, et qu’il n’a pas encore beaucoup d’expérience ; mais il est impossible de l’apprivoiser. On l’attrape difficilement dans les bois, où il peut échapper aux chasseurs par la ruse et par son adresse à se cacher ; mais comme il ne court pas fort vite, on le prend aisément dans les plaines et dans les lieux ouverts ; quand on l’a arrêté il ne jette aucun cri, mais il laisse tomber des larmes et refuse opiniâtrément toute nourriture. M. Caron, directeur de la compagnie des Indes, à Madagascar, en ayant fait embarquer deux venant de l’île de Bourbon pour les envoyer au Roi, ils moururent dans le vaisseau sans avoir voulu boire ni manger[1].
Le temps de leur donner la chasse est depuis le mois de mars au mois de septembre, qui est l’hiver des contrées qu’ils habitent, et qui est aussi le temps où ils sont le plus gras : la chair des jeunes surtout est d’un goût excellent.
Telle est l’idée que Leguat nous donne du solitaire[2] ; il en parle non seulement comme témoin oculaire, mais comme un observateur qui s’était attaché particulièrement et longtemps à étudier les mœurs et les habitudes de cet oiseau ; et en effet, sa relation, quoique gâtée en quelques endroits par des idées fabuleuses[3], contient néanmoins plus de détails historiques sur le solitaire que je n’en trouve dans une foule d’écrits sur des oiseaux plus généralement et plus anciennement connus. On parle de l’autruche depuis trente siècles, et l’on ignore encore aujourd’hui combien elle pond d’œufs, et combien elle est de temps à les couver.
L’oiseau de Nazareth, appelé sans doute ainsi par corruption pour avoir été trouvé dans l’île de Nazare[4], a été observé par Fr. Cauche dans l’île Maurice, aujourd’hui l’île Française ; c’est un très gros oiseau, et plus gros qu’un cygne : au lieu de plumes il a tout le corps couvert d’un duvet noir, et cependant il n’est pas absolument sans plumes, car il en a de noires aux
- ↑ Voyage de Carré aux Indes.
- ↑ Voyage de Leguat, t. Ier, p. 98-102.
- ↑ Par exemple, au sujet du premier accouplement des jeunes solitaires, où son imagination prévenue lui a fait voir les formalités d’une espèce de mariage, au sujet de la pierre de l’estomac, etc.
- ↑ L’île de Nazare est plus haute que l’île Maurice à 17 degrés de latitude sud. Voyez la Description… de Madagascar, par Fr. Cauche, p. 130 et suivantes.