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nid de feuilles de palmier amoncelées à la hauteur d’un pied et demi ; la femelle pond dans ce nid un œuf beaucoup plus gros qu’un œuf d’oie, et le mâle partage avec elle la fonction de couver.

Pendant tout le temps de l’incubation, et même celui de l’éducation, ils ne souffrent aucun oiseau de leur espèce à plus de deux cents pas à la ronde ; et l’on prétend avoir remarqué que c’est le mâle qui chasse les mâles, et la femelle qui chasse les femelles ; remarque difficile à faire sur un oiseau qui passe sa vie dans les lieux les plus sauvages et les plus écartés.

L’œuf, car il paraît que ces oiseaux n’en pondent qu’un, ou plutôt n’en couvent qu’un à la fois ; l’œuf, dis-je, ne vient à éclore qu’au bout de sept semaines[1], et le petit n’est en état de pourvoir à ses besoins que plusieurs mois après : pendant tout ce temps le père et la mère en ont soin, et cette seule circonstance doit lui procurer un instinct plus perfectionné que celui de l’autruche, laquelle peut en naissant subsister par elle-même, et qui n’ayant jamais besoin du secours de ses père et mère, vit isolée, sans aucune habitude intime avec eux, et se prive ainsi des avantages de leur société qui, comme je l’ai dit ailleurs, est la première éducation des animaux et celle qui développe le plus leurs qualités naturelles ; aussi l’autruche passe-t-elle pour le plus stupide des oiseaux.

Lorsque l’éducation du jeune solitaire est finie, le père et la mère demeurent toujours unis et fidèles l’un à l’autre, quoiqu’ils aillent quelquefois se mêler parmi d’autres oiseaux de leur espèce : les soins qu’ils ont donnés en commun au fruit de leur union semblent en avoir resserré les liens, et lorsque la saison les y invite ils recommencent une nouvelle ponte.

On assure qu’à tout âge on leur trouve une pierre dans le gosier, comme au dronte ; cette pierre est grosse comme un œuf de poule, plate d’un côté, convexe de l’autre, un peu raboteuse et assez dure pour servir de pierre à aiguiser ; on ajoute que cette pierre est toujours seule dans leur estomac, et qu’elle est trop grosse pour pouvoir passer par le canal intermédiaire qui fait la seule communication du jabot au gésier, d’où l’on voudrait conclure que cette pierre se forme naturellement, et à la manière des bézoards, dans le gésier du solitaire ; mais pour moi j’en conclus seulement que cet oiseau est granivore, qu’il avale des pierres et des cailloux comme tous les oiseaux de cette classe, notamment comme l’autruche, le touyou, le casoar et le dronte, et que le canal de communication du jabot au gésier est susceptible d’une dilatation plus grande que ne l’a cru Leguat.

Le seul nom de solitaire indique un naturel sauvage ; et comment ne le serait-il pas ? comment un oiseau qui compose lui seul toute la couvée, et

  1. Aristote fixe au trentième jour le terme de l’incubation pour les plus gros oiseaux, tels que l’aigle, l’outarde, l’oie. Il est vrai qu’il ne cite point l’autruche en cet endroit. Hist. Anim., lib. vi, cap. vi.