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perfection ou d’imperfection. Dans l’homme, où tout doit être jugement et raison, le sens du toucher est plus parfait que dans l’animal, où il y a moins de jugement que de sentiment ; et au contraire l’odorat est plus parfait dans l’animal que dans l’homme, parce que le toucher est le sens de la connaissance, et que l’odorat ne peut être que celui du sentiment. Mais comme peu de gens distinguent nettement les nuances qui séparent les idées et les sensations, la connaissance et le sentiment, la raison et l’instinct, nous mettrons à part ce que nous appelons chez nous raisonnement, discernement, jugement, et nous nous bornerons à comparer les différents produits du simple sentiment, et à rechercher les causes de la diversité de l’instinct, qui, quoique varié à l’infini dans le nombre immense des espèces d’animaux qui tous en sont pourvus, paraît néanmoins être plus constant, plus uniforme, plus régulier, moins capricieux, moins sujet à l’erreur que ne l’est la raison dans la seule espèce qui croit la posséder.

En comparant les sens, qui sont les premières puissances motrices de l’instinct dans tous les animaux, nous trouverons d’abord que le sens de la vue est plus étendu, plus vif, plus net et plus distinct dans les oiseaux en général que dans les quadrupèdes ; je dis en général, parce qu’il paraît y avoir des exceptions dans les oiseaux qui, comme les hiboux, voient moins qu’aucun des quadrupèdes ; mais c’est un effet particulier que nous examinerons à part, d’autant que, si ces oiseaux voient mal pendant le jour, ils voient très bien pendant la nuit, et que ce n’est que par un excès de sensibilité dans l’organe qu’ils cessent de voir à une grande lumière : cela même vient à l’appui de notre assertion, car la perfection d’un sens dépend principalement du degré de sa sensibilité ; et ce qui prouve qu’en effet l’œil est plus parfait dans l’oiseau, c’est que la nature l’a travaillé davantage. Il y a, comme l’on sait, deux membranes de plus, l’une extérieure et l’autre intérieure, dans les yeux de tous les oiseaux, qui ne se trouvent pas dans l’homme : la première[1], c’est-à-dire la plus extérieure de ces membranes, est placée dans le grand angle de l’œil ; c’est une seconde paupière plus transparente que la première, dont les mouvements obéissent également à la volonté, dont l’usage est de nettoyer et polir la cornée, et qui leur sert aussi à tempérer l’excès de la lumière, et ménager par conséquent la grande sensibilité de leurs yeux ; la seconde[2] est située au fond

  1. Cette paupière interne se trouve dans plusieurs animaux quadrupèdes ; mais, dans la plupart, elle n’est pas mobile comme dans les oiseaux.
  2. Dans les yeux d’un coq indien, le nerf optique, qui était situé fort à côté, après avoir percé la sclérotique et la choroïde, s’élargissait et formait un rond, de la circonférence duquel il partait plusieurs filets noirs qui s’unissaient pour former une membrane, que nous avons trouvée dans tous les oiseaux. — Dans les yeux de l’autruche, le nerf optique ayant percé la sclérotique et la choroïde, se dilatait et formait une espèce d’entonnoir d’une substance semblable à la sienne ; cet entonnoir n’est pas ordinairement rond aux oiseaux, où nous avons presque toujours trouvé l’extrémité du nerf optique aplatie et comprimée au dedans de l’œil