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au nombre de ses esclaves. L’autruche promet trop d’avantages à l’homme pour qu’elle puisse être en sûreté dans ses déserts.

Des peuples entiers ont mérité le nom de struthophages par l’usage où ils étaient de manger de l’autruche[1], et ces peuples étaient voisins des éléphantophages, qui ne faisaient pas meilleure chère. Apicius prescrit, et avec grande raison, une sauce un peu vive pour cette viande[2], ce qui prouve au moins qu’elle était en usage chez les Romains ; mais nous en avons d’autres preuves. L’empereur Héliogabale fit un jour servir la cervelle de six cents autruches dans un seul repas[3] ; cet empereur avait, comme on sait, la fantaisie de ne manger chaque jour que d’une seule viande, comme faisans, cochons, poulets, et l’autruche était du nombre[4], mais apprêtée sans doute à la manière d’Apicius ; encore aujourd’hui les habitants de la Libye, de la Numidie, etc., en nourrissent de privées, dont ils mangent la chair et vendent les plumes[5] ; cependant les chiens ni les chats ne voulurent pas même sentir la chair d’une autruche que Vallisnieri avait disséquée, quoique cette chair fût encore fraîche et vermeille : à la vérité, l’autruche était d’une très grande maigreur[6] ; de plus, elle pouvait être vieille ; et Léon l’Africain, qui en avait goûté sur les lieux, nous apprend qu’on ne mangeait guère que les jeunes, et même après les avoir engraissées[7] ; le rabbin David Kimbi ajoute qu’on préférait les femelles[8], et peut-être en eût-on fait un mets passable en les soumettant à la castration.

Cadamosto et quelques autres voyageurs disent avoir goûté des œufs d’autruche et ne les avoir point trouvés mauvais ; de Brue et Le Maire assurent que dans un seul de ces œufs il y a de quoi nourrir huit hommes[9] ; d’autres qui pèsent autant que trente œufs de poule[10] ; mais il y a bien loin de là à quinze livres.

On fait avec la coque de ces œufs des espèces de coupes qui durcissent avec le temps, et ressemblent en quelque sorte à de l’ivoire.

Lorsque les Arabes ont tué une autruche, ils lui ouvrent la gorge, font une ligature au-dessous du trou, et, la prenant ensuite à trois ou quatre, ils la secouent et la ressassent comme on ressasserait une outre pour la rincer ; après quoi, la ligature étant défaite, il sort par le trou fait à la gorge une quantité considérable de mantèque en consistance d’huile figée ; on en tire

  1. Strabon, lib. xvi. — Diod. Sic., de Fabul. Antiq. gestis, lib. iv.
  2. Apicius, lib. vi, cap. i.
  3. Lamp. in vita Heliogabali.
  4. Idem, ibidem.
  5. Belon, Hist. natur. des oiseaux, p. 231. — Marmol, Description de l’Afrique, t. III, page 25.
  6. Opere di Vallisnieri, t. Ier, p. 253.
  7. Description de l’Afr., lib. ix.
  8. Gesner, de Avibus, p. 741.
  9. Voyage au Sénégal, etc., p. 104.
  10. Kolbe, Description du cap de Bonne-Espérance.