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Vallisnieri pense au contraire que l’autruche digère ou dissout les corps durs, principalement par l’action du dissolvant de l’estomac, sans exclure celle des chocs et frottements qui peuvent aider à cette action principale ; voici ses preuves :

1o Les morceaux de bois, de fer ou de verre qui ont séjourné quelque temps dans les ventricules de l’autruche ne sont point lisses et luisants comme ils devraient l’être s’ils eussent été usés par le frottement, mais ils sont raboteux, sillonnés, criblés comme ils doivent l’être, en supposant qu’ils aient été rongés par un dissolvant actif ;

2o Ce dissolvant réduit les corps les plus durs, de même que les herbes, les grains et les os en molécules impalpables qu’on peut apercevoir au microscope et même à l’œil nu ;

3o Il a trouvé dans un estomac d’autruche un clou implanté dans l’une de ses parois, et qui traversait cet estomac de façon que les parois opposées ne pouvaient s’approcher ni par conséquent comprimer les matières contenues autant qu’elles le font d’ordinaire ; cependant les aliments étaient aussi bien dissous dans ce ventricule que dans un autre qui n’était traversé d’aucun clou, ce qui prouve au moins que la digestion ne se fait pas dans l’autruche uniquement par trituration ;

4o Il a vu un dé à coudre, de cuivre, trouvé dans l’estomac d’un chapon, lequel n’était rongé que dans le seul endroit par où il touchait au gésier, et qui par conséquent était le moins exposé aux chocs des autres corps durs : preuve que la dissolution des métaux, dans l’estomac des chapons, se fait plutôt par l’action d’un dissolvant, quel qu’il soit, que par celle des chocs et des frottements ; et cette conséquence s’étend assez naturellement aux autruches ;

5o Il a vu une pièce de monnaie rongée si profondément que son poids était réduit à trois grains ;

6o Les glandes du premier estomac donnent, étant pressées, une liqueur visqueuse, jaunâtre, insipide, et qui néanmoins imprime très promptement sur le fer une tache obscure ;

7o Enfin l’activité de ces sucs, la force des muscles du gésier, et la couleur noire qui teint les excréments des autruches qui ont avalé du fer, comme elle teint ceux des personnes qui font usage des martiaux et les digèrent bien, venant à l’appui des faits précédents, autorisent Vallisnieri à conjecturer, non pas tout à fait que les autruches digèrent le fer et s’en nourrissent, comme divers insectes ou reptiles se nourrissent de terre et de pierres, mais que les pierres, les métaux et surtout le fer, dissous par le suc des glandes, servent à tempérer, comme absorbants, les ferments trop actifs de l’estomac ; qu’ils peuvent se mêler à la nourriture comme éléments utiles, l’assaisonner, augmenter la force des solides, et d’autant plus que le fer entre, comme on sait, dans la composition des êtres vivants ; et que, lorsqu’il est suffisamment atténué par des acides convenables, il se volatilise