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quinze œufs chacune. Or, si on la rapportait à la classe des oiseaux, elle serait la plus grande, et par conséquent devrait produire le moins, suivant l’ordre qui suit constamment la nature dans la multiplication des animaux, dont elle paraît avoir fixé la proportion en raison inverse de la grandeur des individus ; au lieu qu’étant rapportée à la classe des animaux terrestres, elle se trouve très petite, relativement aux plus grands, et plus petite que ceux de grandeur médiocre, tels que le cochon, et sa grande fécondité rentre dans l’ordre naturel et général[NdÉ 1].

Oppien, qui croyait mal à propos que les chameaux de la Bactriane s’accouplaient à rebours et en se tournant le derrière, a cru par une seconde erreur qu’un oiseau-chameau (car c’est le nom qu’on donnait dès lors à l’autruche ) ne pourrait manquer de s’accoupler de la même façon ; et il l’a avancé comme un fait certain ; mais cela n’est pas plus vrai de l’oiseau-chameau que du chameau lui-même, comme je l’ai dit ailleurs : et quoique, selon toute apparence, peu d’observateurs aient été témoins de cet accouplement, et qu’aucun n’en ait rendu compte, on est en droit de supposer qu’il se fait à la manière accoutumée, jusqu’à ce qu’il y ait preuve du contraire[NdÉ 2]</ref>.

  1. À l’époque des amours les autruches vivent en petites sociétés formées d’un seul mâle et de trois on quatre femelles. Le mâle se montre très jaloux, et l’on prétend que ses femelles lui restent très fidèles ; mais ce dernier point paraît fort contestable. Toutes les femelles d’un groupe pondent dans un même nid formé par une simple cavité circulaire, autour de laquelle l’oiseau élève une sorte de remblai. Les œufs reposent sur la pointe ; ils sont soutenus par le remblai. Dès que le nid contient dix ou douze œufs, le mâle commence à couver. C’est lui seul qui se charge de ce soin. D’après Lichtenstein, les œufs pondus après le commencement de la ponte seraient destinés à l’alimentation des jeunes, mais ce fait n’est pas démontré. Le mâle ne couve que pendant la nuit ; le jour il abandonne les œufs à eux-mêmes, après les avoir recouverts de sable, et laisse au soleil le soin de continuer l’incubation.
  2. On sait aujourd’hui que l’autruche coïte comme les autres oiseaux. Hardy a observé, en Algérie, chez des autruches élevées en captivité, les phénomènes qui se produisent, au moment du rut, chez le mâle. « La peau de son cou et de ses cuisses prend une couleur rouge vif. Il chante alors, ou plutôt il fait sortir du fond de sa poitrine et du gosier des sons rauques, concentrés, étranges. Pour les produire, il ramasse son cou sur lui-même, ferme le bec, et, par des mouvements spasmodiques qu’il produit à volonté par tout son corps, pousse en avant l’air contenu dans sa poitrine, donne à son gosier une dilatation extraordinaire et fait entendre trois sortes de dilatations gutturales, dont la deuxième est de quelques tons plus élevée que la première, et la troisième, d’un ton beaucoup plus grave, se prolonge en s’éteignant. Il fait ainsi des salves composées de trois fortes détonations et qu’il répète à plusieurs reprises. Ce chant sauvage, qui a de l’analogie avec le rugissement du lion, se fait entendre le jour et la nuit, mais principalement le matin.

    » Le rut se manifeste encore par des gestes chez l’autruche mâle ; il exécute une sorte de danse. Il s’accroupit devant sa femelle, sur les jarrets, puis balance, pendant huit ou dix minutes, d’une manière cadencée, la tête et le cou, se frappe alternativement avec le derrière de sa tête le corps de chaque côté en avant des ailes ; ses ailes s’agitent en mesure par des mouvements fébriles ; tout son corps frémit ; il fait entendre une sorte de roucoulement sourd et saccadé ; tout son être paraît en proie à un délire hystérique. Ces symptômes précèdent plutôt qu’ils ne suivent l’accouplement. Il couvre sa femelle plusieurs fois par jour, mais principalement le matin. Pendant l’acte, il fait entendre un grondement sourd et concentré qui indique la violence de sa passion. »