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j’ai donc fait des recherches pour connaître quelles peuvent être ces espèces sujettes à l’engourdissement ; et, pour savoir si l’hirondelle était du nombre, j’en ai fait enfermer quelques-unes dans une glacière où je les ai tenues plus ou moins de temps ; elles ne s’y sont point engourdies, la plupart y sont mortes, et aucune n’a repris de mouvement aux rayons du soleil ; les autres, qui n’avaient souffert le froid de la glacière que pendant peu de temps, ont conservé leur mouvement et en sont sorties bien vivantes. J’ai cru devoir conclure de ces expériences que cette espèce d’hirondelle n’est point sujette à l’état de torpeur ou d’engourdissement que suppose néanmoins et très nécessairement le fait de leur séjour au fond de l’eau pendant l’hiver : d’ailleurs, m’étant informé auprès de quelques voyageurs dignes de foi, je les ai trouvés d’accord sur le passage des hirondelles au delà de la Méditerranée ; et M. Adanson m’a positivement assuré que, pendant le séjour assez long qu’il a fait au Sénégal, il avait vu constamment les hirondelles à longue queue, c’est-à-dire nos hirondelles de cheminée dont il est ici question, arriver au Sénégal dans la saison même où elles partent de France, et quitter les terres du Sénégal au printemps ; on ne peut donc guère douter que cette espèce d’hirondelle ne passe en effet d’Europe en Afrique en automne, et d’Afrique en Europe au printemps ; par conséquent, elle ne s’engourdit pas, ni ne se cache dans des trous, ni ne se jette dans l’eau à l’approche de l’hiver ; d’autant qu’il y a un autre fait, dont je me suis assuré, qui vient à l’appui des précédents, et prouve encore que cette hirondelle n’est point sujette à l’engourdissement par le froid, et qu’elle en peut supporter la rigueur jusqu’à un certain degré au delà duquel elle périt ; car si l’on observe ces oiseaux quelque temps avant leur départ, on les voit d’abord, vers la fin de la belle saison, voler en famille, le père, la mère et les petits ; ensuite plusieurs familles se réunir et former successivement des troupes d’autant plus nombreuses que le temps du départ est plus prochain, partir enfin presque toutes ensemble, en trois ou quatre jours, à la fin de septembre ou au commencement d’octobre ; mais il en reste quelques-unes qui ne partent que huit jours, quinze jours, trois semaines après les autres ; et quelques-unes encore qui ne partent point et meurent aux premiers grands froids ; ces hirondelles qui retardent leur voyage sont celles dont les petits ne sont pas encore assez forts pour les suivre. Celles dont on a détruit plusieurs fois les nids après la ponte, et qui ont perdu du temps à les reconstruire et à pondre une seconde ou une troisième fois, demeurent par amour pour leurs petits, et aiment mieux souffrir l’intempérie de la saison que de les abandonner : ainsi elles ne partent qu’après les autres, ne pouvant emmener plus tôt leurs petits, ou même elles restent au pays pour y mourir avec eux.

Il paraît donc bien démontré par ces faits que les hirondelles de cheminée passent successivement et alternativement de notre climat dans un climat